Cet article analyse les avancées obtenues pour les exploitations familiales en matière de sécurisation foncière en Afrique. Il identifie plusieurs défis à venir, comme la régulation des investissements à grande échelle, le renforcement des acteurs de la société civile ou encore l’élargissement de l’offre de sécurisation foncière.
La terre et ses ressources sont des facteurs de production essentiels pour les agricultures familiales. Alors que la pression foncière augmente, que les conflits autour de l’accès à l’espace se multiplient, quelles sont les mesures aujourd’hui prises par les États et leurs partenaires en matière de politique foncière ? Quelles sont les avancées obtenues pour les exploitations familiales et les défis à venir ?
Des investissements à grande échelle qui s’accélèrent. La dernière décennie a été marquée par une ruée sur les terres sans précédent et une accélération du nombre de projets privés dans l’agriculture, notamment en Afrique. Le continent serait concerné par près de la moitié des projets à grande échelle recensés dans le monde en 2014 (pour des données détaillées, consulter le site de la Land matrix). Faute de transparence dans le processus de négociation avec les entreprises, d’implication des populations locales, d’informations sur le contenu exact des contrats passés et de données objectives sur leur mise en œuvre et leurs retombées effectives, les impacts de ces investissements restent encore difficilement mesurables.
Néanmoins, la majorité de ces projets ne prévoient pas de renforcer les atouts des agricultures familiales sur les territoires, mais plutôt de développer des productions en régie à grande échelle en ayant recours au salariat agricole. Les risques pour les agriculteurs et éleveurs familiaux de se voir expropriés de leurs terres et privés de leurs principaux moyens d’existence s’en trouvent accentués et sont régulièrement dénoncés par les organisations paysannes et la société civile.
Un engagement sans précédent de la Communauté Internationale. Face à ce phénomène, la Communauté Internationale a lancé en 2008 une série d’initiatives dont les plus significatives pour le continent africain sont les cadres et lignes directrices de l’Union Africaine (UA) adoptés en avril 2009, et les Directives volontaires pour la Gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts, validées le 11 mai 2012 par les États membres des Nations Unies.
Pour les sociétés civiles du Nord et du Sud, ces directives constituent des avancées considérables en matière de reconnaissance et de respect des droits fonciers locaux, de prise en compte du rôle des politiques foncières dans le développement socio-économique, et d’intégration de tous les acteurs de la société dans leur élaboration. Elles ont cependant regretté leur caractère non-contraignant et l’absence dans les textes de condamnation claire de l’accaparement des terres. Elles réclament par ailleurs une mise en œuvre préalable et systématique des directives internationales dans tous les pays avant de favoriser l’investissement privé. À la suite du forum social mondial de Tunis de mars 2015, près d’une centaine d’organisations ont ainsi signé une déclaration dénonçant les risques de la « Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique » (Nasan). Les principales demandes de cette déclaration portent sur la mise en place d’un moratoire des engagements privés en cours, le respect des engagements des États notamment en matière de respect du droit à l’alimentation, la mise en place de plateformes multi-acteurs impliquant les organisations paysannes pour améliorer la transparence des transactions, le respect du consentement libre, préalable et éclairé des communautés, ainsi que des mesures de soutien au développement de l’agriculture familiale.
La Nouvelle Alliance : des risques pour les droits fonciers des agricultures familiales ?
Lancée en 2012 par le G8, l’UA et le Nouveau Partenariat pour le développement en Afrique (Nepad), la Nouvelle Alliance a pour objectif de promouvoir la sécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique en encourageant des investissements accrus de multinationales et entreprises privées nationales. Dix pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Éthiopie, Ghana, Malawi, Mozambique, Nigéria, Sénégal et Tanzanie) ont rejoint cette initiative censée renforcer le rôle des grandes entreprises agroalimentaires dans l’agriculture. Ces dernières s’engagent à augmenter leurs engagements financiers dans les pays en respectant les principes internationaux en matière d’investissement responsable. Les gouvernements en échange s’engagent à mettre en œuvre des réformes (y compris foncières) qui leur sont favorables. Une étude d’impact menée par Action Aid pointe les risques liés à des réformes foncières mettant l’accent sur la propriété privée et individuelle au détriment des droits d’usage et des droits collectifs qui sont au cœur des réalités socio-foncières des agricultures familiales.
Des réformes foncières en marche dans de nombreux pays. Les demandes répétées des sociétés civiles d’une meilleure régulation des investissements privés dans l’agriculture s’accompagnent depuis plusieurs années d’un plaidoyer pour engager des réformes foncières qui sécurisent et reconnaissent les droits des exploitations familiales. Dans plusieurs pays, la période coloniale a en effet conduit à nier les droits coutumiers des populations. Suivant les périodes et les contextes, les États indépendants ont reconnu, toléré, ignoré voir combattu les droits fonciers locaux. Dans bien des cas, ils ont gardé le monopole de la gestion de la terre et marginalisé les pouvoirs locaux.
Des réformes foncières en marche dans de nombreux pays. Les demandes répétées des sociétés civiles d’une meilleure régulation des investissements privés dans l’agriculture s’accompagnent depuis plusieurs années d’un plaidoyer pour engager des réformes foncières qui sécurisent et reconnaissent les droits des exploitations familiales. Dans plusieurs pays, la période coloniale a en effet conduit à nier les droits coutumiers des populations. Suivant les périodes et les contextes, les États indépendants ont reconnu, toléré, ignoré voir combattu les droits fonciers locaux. Dans bien des cas, ils ont gardé le monopole de la gestion de la terre et marginalisé les pouvoirs locaux.
Cette volonté initiale de s’affranchir de la gestion coutumière des terres a été mise à mal par des résistances sociales (des populations, des autorités traditionnelles), les dynamiques foncières (plus variées et complexes que ce que prévoyaient les textes de loi) et les difficultés effectives de mise en place des institutions et dispositions prévues par l’État. Au fil du temps, cette situation a conduit à la mise en place de nombreux arrangements locaux s’effectuant en dehors de la loi, qui répondent certes aux besoins des populations, mais qui ont aussi permis aux élites et acteurs les plus puissants de s’enrichir en s’accaparant des ressources communes.
Pour mettre fin aux dérives et insuffisances du monopole foncier de l’État, plusieurs pays ont engagé des réflexions pour réformer la gestion du foncier. Les démarches alternatives de formalisation des droits fonciers ont permis des avancées indéniables en particulier au niveau de la simplification des procédures et de l’accessibilité des services fonciers pour les populations les plus vulnérables (réduction du coût et de la distance). Malgré ces innovations, ces approches demeurent marquées par une vision « propriétariste » issue de l’héritage colonial. Les espaces communs sont fréquemment enregistrés au nom de familles, ignorant les droits d’exploitation ou d’usage des autres groupes (pasteurs). Les modes de faire-valoir indirect (location, métayage) qui fondent les réalités foncières des agricultures familiales ne sont pas toujours reconnus ou le sont à la marge, fragilisant les droits de ceux qui ont accès à la terre par cet intermédiaire (migrants, femmes, cadets). Les démarches privilégient encore souvent les agriculteurs au détriment des éleveurs, les familles autochtones au détriment des familles de migrants même anciennes, les populations détenant des droits d’administration et de gestion des terres (« propriétaires coutumiers ») au détriment de celles qui n’ont que des droits d’usage, d’exploitation ou de prélèvement.
Même lorsqu’elles sont soucieuses d’être le plus inclusives possibles, les politiques foncières peuvent donc aboutir, dans les faits, à creuser les inégalités et provoquer des conflits à plus ou moins long terme, à l’instar de la Côte d’Ivoire. Au-delà de visions trop standard du droit, elles se heurtent à des blocages et des dérives de toutes sortes, liés aux logiques institutionnelles et aux intérêts propres aux acteurs chargés de la mise en œuvre des réformes.
Faute de consensus au sein des sociétés sur le modèle d’agriculture à promouvoir et à l’asymétrie des rapports de force entre les groupes d’acteurs, les politiques mises en œuvre dans les pays régulent de manière très insuffisantes l’« investissement privé » dans l’agriculture et le changement de vocation des terres. La concentration des terres aux mains de quelques acteurs se poursuit et les zones faisant l’objet d’une gestion commune sont de plus en plus victimes d’appropriation privée.
Les défis à venir pour la sécurisation foncière des agricultures familiales. Le défi de la sécurisation foncière des agricultures familiales ne sera relevé qu‘en prenant en compte l’ensemble de ses déterminants : les investissements à grande échelle qui menacent l’accès au foncier des petits exploitants, mais aussi les crises climatiques qui réduisent la disponibilité des ressources naturelles et accentuent la pression sur les terres. Dans de nombreux pays, les leviers de la sécurisation foncière des exploitations familiales se situent donc dans la mise en place de politiques dédiées, mais aussi et surtout dans des mesures adaptées pour agir sur l’environnement économique, le fonctionnement de la gouvernance, les modalités d’insertion dans les marchés, etc. Plusieurs pistes d’action peuvent être énoncées dans ce sens.
La régulation des investissements à grande échelle à leur origine : les États et leurs partenaires techniques et financiers jouent un rôle déterminant dans l’orientation des projets d’investissement. La mise en place de procédures et outils internes d’aide à la décision pour ces acteurs représente un véritable levier pour aller vers des accords plus profitables aux populations à la base. La réflexion engagée dans ce sens par l’Union Africaine avec ses « Principes directeurs relatifs aux investissements fonciers à grande échelle en Afrique » ou de la France avec l’appui du Comité technique « Foncier et développement » sont aujourd’hui utilement valorisées par les institutions africaines et le groupe de travail sur le foncier des bailleurs de fonds au niveau de la Global Donor Platform.
Le renforcement de la capacité des acteurs de la société civile : les acteurs de la société civile (organisations paysannes, ONG, organismes de recherche, etc.) ont un rôle prépondérant à jouer pour participer à l’élaboration des choix de politique foncière et contribuer à une meilleure gouvernance foncière. Des moyens dédiés devraient être prévus à différents niveaux (par les États, chez les partenaires techniques et financiers, dans les contrats) pour les aider à mettre en place des dispositifs de veille et d’alerte sur les dynamiques foncières, à entrer dans les débats, et à être force de proposition sur les mécanismes de régulation et modèles d’investissement à promouvoir.
L’organisation de débats élargis sur les choix de société : une politique foncière n’est pas une fin en soi. Elle n’est qu’un outil au service d’un projet de société plus large. Ces derniers sont souvent ambigus en matière de modèle de production à promouvoir en priorité (agricultures familiales vs agrobusiness, gestion par l’État vs décentralisation, pouvoir de l’administration vs pouvoirs coutumiers…). Des débats élargis sur le sujet constituent un préalable à l’engagement de toute réforme foncière.
L’ élargissement de l’offre de sécurisation foncière : un des dilemmes des politiques foncières est de proposer un cadre national qui puisse s’appliquer à toutes les zones du pays. Mais ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas de faire le choix d’une option plutôt qu’une autre, mais d’offrir une gamme de solutions élargie qui réponde aux besoins des différents groupes d’usagers de la terre (exploitants, locataires, propriétaires, investisseurs). La priorité donnée à la reconnaissance des pratiques locales et notamment des modes de faire-valoir indirect par les États serait une avancée significative pour la sécurisation foncière des agricultures familiales.
L’augmentation des capacités d’investissement des agricultures familiales : la sécurisation foncière est souvent perçue par des nombreux agriculteurs comme un levier pour accéder au crédit. Le lien entre les deux n’est pourtant pas évident et peut même s’avérer très dangereux pour de petits producteurs qui pourraient mettre en gage leurs terres et les perdre en cas de non remboursement. Au-delà de la sécurisation foncière, l’augmentation des capacités d’investissement dans l’agriculture familiale par l’État mais aussi par les agriculteurs eux-mêmes en leur fournissant une offre de crédit adaptée à leurs besoins demeure d’une impérieuse nécessité.
Deux grands types de réformes foncières
À partir d’un bilan tiré de plus de trente ans d’expériences de politiques de formalisation des droits fonciers dans les pays du Sud, le Comité technique « Foncier et développement » de la Coopération française (CTFD) montre qu’il existe deux grands types de réforme actuellement à l’œuvre dans les pays :
Des politiques de type standard fondées sur la seule propriété privée et/ou individuelle (cas du Rwanda et de l’Ethiopie) qui distribuent massivement et systématiquement des titres dont le nom varient d’un pays à l’autre (titre de propriété, permis d’occuper, etc.) et qui sont porteuses d’exclusion partout où l’appropriation de la terre repose sur un principe de patrimoine foncier familial ou sur des ressources communes ;
Des politiques de type alternative (cas de Madagascar et du Burkina Faso) qui tentent de reconnaître la diversité des droits existants et la pluralité des normes d’accès à la terre et à ses ressources en promouvant de nouvelles catégories juridiques, plus proches des formes locales d’appropriation (certificat, attestation, etc.) et en construisant une gouvernance foncière au sein de laquelle l’administration, les collectivités locales et les autorités coutumières sont amenées à coopérer.
Aurore Mansion (mansion@gret.org), Amel Benkahla (benkahla@gret.org) et Sandrine Vaumourin (vaumourin@gret.org) sont chargées de projet au Gret, spécialisées sur les politiques foncières. Elles assurent des missions d’expertise et d’appui dans différents pays, ainsi que le secrétariat du Comité technique « Foncier et développement » de la Coopération française.
Fondé en 1976, le Gret est une ONG française regroupant des professionnels du développement. Il agit du terrain au politique pour lutter contre la pauvreté et les inégalités en apportant des réponses durables et innovantes pour le développement solidaire (www.gret.org).
Réunissant experts, chercheurs et responsables de la coopération française, le comité technique « Foncier et Développement » est un groupe de réflexion qui apporte depuis 1996 un appui à la coopération française en termes de stratégie, de valorisation des résultats de la recherche et de l’expérience des projets d’appui aux politiques foncières. Il publie de nombreuses ressources documentaires sur le foncier (www.foncier- developpement.fr)