L’Association pour la promotion des arbres fertilitaires et l’agroforesterie (Apaf) vulgarise des techniques agroforestières en milieu paysan au Togo, au Burkina Faso et au Sénégal. L’expérience togolaise révèle à la fois un fort potentiel de diffusion de ces pratiques et des obstacles politiques et socioéconomiques importants.
L’Association pour la promotion de l’agroforesterie et de la foresterie (Apaf) est une ONG de droit togolais créée par des agronomes, des techniciens et des paysans togolais et belges en 1991. Une structure du même nom a été créée en 2008 au Burkina Faso et en 2012 au Sénégal.
Pascal Humbert est président de l’Apaf France.
Bruno Devresse travaille comme assistant technique au sein de l’Apaf France.
Mansour Ndiaye est directeur exécutif de l’Apaf au Sénégal.
Dans de nombreux territoires de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, la forte croissance de la population a entraîné une dégradation des sols cultivés du fait de l’abandon de la pratique de la jachère et des pressions de plus en plus importantes sur les ressources naturelles. Les solutions techniques souvent mises en oeuvre par les agriculteurs pour compenser les baisses de fertilité des sols (recours aux engrais chimiques, extension des espaces cultivées sur les terres destinées à la jachère longue, aux pâturages et à la foresterie, …) n’ont fait qu’accélérer le front de destruction des ressources naturelles. Lancée depuis le début des années 90, la vulgarisation du compostage pour inverser la baisse de fertilité des sols peine à produire des résultats car il s’agit d’une technique trop exigeante en eau, paille, transport et travail.
La réactualisation d’une technique ancestrale
Face à ces défis, L’Association pour la promotion des arbres fertilitaires et l’agroforesterie (Apaf) a développé dès le début des années 90 des projets visant à vulgariser des techniques agroforestières en milieu paysan, notamment avec le soutien de la coopération belge puis de l’Union européenne. L’Apaf a commencé par un travail d’observations et de recherches participatives, pour identifier une trentaine d’arbres « fertilitaires ». Un arbre fertilitaire est un arbre dont l’activité enrichit la couche arable d’une terre, en améliore la texture et en favorise la structuration. Pour exercer efficacement sa fonction dans les champs, il doit être « convivial : il n’entre pas en concurrence forte avec les autres espèces cultivées en association. Les arbres fertilitaires sont principalement issus de la famille des légumineuses : Acacia albida, Albizias chevalieri, A. zygia, A. adianthifolia…
La technique agroforestière principalement utilisée consiste à introduire des arbres fertilitaires dans les champs des paysans. Ceux-ci cultivent en dessous et autour de ces arbres. Quand ils n’existent pas dans le milieu, les arbres sont produits en pépinières puis introduits dans les champs ; les paysans sont formés à la conduite des pépinières, à la plantation des arbres et à leur entretien (élagages et abattages sélectifs). Lorsque ces arbres existent déjà dans leur milieu, les paysans sont formés à la régénération naturelle assistée (formation à la mise en place de haies vives et clôtures, mesures de protection des arbres). Un petit équipement (machettes, râteaux, pioches, arrosoirs) était alloué et les plants étaient gratuits.
Des techniques diffusées à grande échelle
Au Togo, l’Apaf et les paysans ont mis en place 29 850 champs agroforestiers (d’1,5 ha en moyenne) et 2 900 forêts dans 530 villages et hameaux de la région des Plateaux-Ouest et de la région Maritime, dans le cadre du programme PAFVI (Programme d’appui aux initiatives d’agroforesterie et de foresterie villageoise), financé par l’Union européenne entre 2001 et 2004, pour un montant de 1 980 000 €. La majorité (70 %) des champs agroforestiers mis en place dans ce cadre sont des parcelles de café-cacao associés à des cultures vivrières. Les autres champs agroforestiers concernent uniquement les cultures maraichères ou vivrières comme le maïs, l’igname, le manioc, la banane. Au total, ce sont plus de 5 millions d’arbres sortis des pépinières qui ont été complantés au Togo, dans les champs de 30 000 familles sur plus de 45 000 ha. Si on tient compte de la régénération naturelle assistée, c’est plus encore.
Le PAFVI s’est terminé en 2004 mais les 30 000 familles paysannes togolaises qui ont bénéficié des projets et programmes Apaf ont maintenu et agrandi leurs champs complantés d’arbres fertilitaires et de nouveaux paysans ont répliqué et adopté spontanément les techniques dans la zone des projets Apaf. En 2010, une étude a constaté que 99 % des champs de la zone de production de café-cacao du Togo étaient complantés d’arbres fertilitaires vulgarisés par l’Apaf : les paysans de cette filière ont ainsi massivement adopté ces techniques.
Des effets positifs pour l’environnement et les revenus des ménages
Deux expertises ont été réalisées sur le PAFVI. La première (2007) montre que le modèle agroforestier « multi-étagé » a recueilli l’adhésion de tous les paysans concernés. Dans ce modèle, le champ présente plusieurs strates : par exemple au sol des ignames et du manioc, au niveau intermédiaire des bananiers et cacaoyers, et en strate supérieure des grands arbres fertilitaires. Ce sont bien, au-delà de l’arbre, toutes les composantes du système agroforestier qui en font sa richesse. L’étude souligne des impacts environnementaux positifs : diversité biologique, amélioration des nappes phréatiques et des sources car l’enrichissement des sols en matière organique permet de diminuer le ruissellement et ainsi de mieux stocker l’eau… Elle met aussi en avant de nombreux avantages économiques et sociaux : réduction des dépenses en intrants, maintien ou augmentation des rendements, production de bois domestique et de produits de cueillette, diminution de la précarité par la création de ressources ligneuses exploitables, réduction de la pénibilité des taches féminines car le bois de chauffe et l’eau potable sont plus accessibles.
La deuxième expertise (2010) constate aussi des résultats positifs, avec un accroissement des rendements observés dus à l’association arbre – culture de 32 % pour le maïs, 5 % pour le cacao et 74 % pour le café. L’expertise note une amélioration de la qualité des sols et une adoption forte de la technique par les bénéficiaires du programme. Ces techniques ont même été adoptées par des populations non visées par le programme. La raison qui a motivé les producteurs à adopter ces techniques est d’abord économique, avec des bénéfices accrus avec la baisse, voire la disparition d’achats d’intrants et la production de bois de chauffe. Les considérations environnementales viennent ensuite lorsque les paysans découvrent les bénéfices écologiques de ces techniques : réassort des nappes et sources, fertilité durable, biodiversité (avec un retour de faune pour la chasse)…
Face au succès de l’Apaf au Togo, des structures du même nom sont nées dans les années 2000 au Burkina Faso et au Sénégal.
Des contraintes techniques, socioéconomiques et politiques
Malgré ces résultats positifs, la diffusion de ces techniques reste inachevée au Togo et peine encore à se concrétiser au Burkina Faso et au Sénégal. Plusieurs facteurs peuvent permettre de comprendre ces limites, à commencer par le manque de volonté politique et l’incrédulité de nombreux agronomes du Nord et du Sud, d’employés d’ONG et d’acteurs de la coopération. Cette attitude est certainement à mettre en lien avec un obstacle culturel important : l’agriculture dite « moderne » s’est longtemps voulue sans arbres. Au-delà de cette absence de soutien, certains acteurs sont fortement opposés à la diffusion de ces techniques : au Togo, les vendeurs d’engrais ont exercé des pressions sur les producteurs qui avaient adopté des techniques agroforestières et abandonné les engrais.
L’insécurité foncière constitue aussi un frein important à l’agroforesterie dans la mesure où les paysans locataires ou usagers temporaires des terres ne sont pas sûrs de récolter les fruits de leurs investissements : voyant la fertilité de sa terre s’améliorer, le propriétaire peut récupérer son bien pour l’exploiter lui-même. Enfin, répliquer dans d’autres pays le succès rencontré au Togo nécessite certaines adaptations. Dans les pays sahéliens, la divagation des animaux en particulier constitue une contrainte majeure. Il est coûteux de mettre en place des haies mortes, tandis que les haies vives demandent un travail d’entretien important permanent, avec des résultats souvent limités.
Développer la recherche et les partenariats
Face à ces contraintes, il semble essentiel de développer les actions de recherche afin d’élaborer des systèmes à la fois peu coûteux et efficaces pour protéger les arbres de la divagation des animaux. Nous testons actuellement des répulsifs naturels, réalisés avec des produits locaux et permettant de tenir les animaux éloignés des arbres.
Il est fondamental également de relayer les résultats de notre expérience, en dépassant l’analyse en termes de rendements. Dans le cas du cacao par exemple, les hausses de rendements restent relativement modestes (5 % selon l’étude de 2010) mais il est essentiel d’adopter une approche plus globale des bénéfices économiques et sociaux de l’agroforesterie : hausses de revenus des ménages liées à la production de bois domestique et aux produits de la cueillette, économies réalisées grâce à l’abandon d’intrants chimiques, diversification des productions…
Un Faidherbia albida, à Gorou Kirey (près de Niamey, au Niger). Malgré des semis tardifs, des pluies peu abondantes et des sols de dune, le mil a bien poussé (© Patrick Delmas)