Depuis 2001, la Sodecoton avec l’appui du Cirad a débuté des actions pour mettre au point et diffuser des systèmes de culture sous couvertures végétales (SCV) adaptés au Nord Cameroun. Entretien avec Oumarou Balarabé, cadre de recherche et développement au sein du Projet de conservation des sols.
Oumarou Balarabé a une formation d’agronome et d’économiste. Il est ingénieur à l’Institut de recherche agricole pour le développement (Irad) et à la Société de développement du coton du Cameroun (Sodecoton).
Grain de sel : Pourquoi a-t-il été décidé de mettre au point et de diffuser des SCV au Cameroun ?
Oumarou Balarabé (OB) : Depuis le milieu des années 90, le ministère de l’Agriculture, à travers la Sodecoton (Société de développement du coton) et avec l’appui du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), a diffusé des techniques visant à préserver la fertilité des sols et assurer une meilleure conservation des sols : bandes enherbées, cordons pierreux, plantations agroforestières, ouvrages de gestion de l’eau. A partir de 2002, dans le cadre du projet Eau Sol Arbre (ESA) dont l’assistance technique a été assurée par le Cirad, les expérimentations agronomiques sur les SCV ont démarré sur deux sites de création-diffusion, pour mettre au point les SCV, tester leur potentiel, et trier les systèmes les mieux adaptés au milieu. Des parcelles d’expérimentation en milieu paysan ont également été mises en place pour tester l’adaptabilité des SCV au contexte paysan. C’est ainsi qu’on s’est rendu compte que l’adoption des SCV se heurtait à des arrangements coutumiers comme les droits de vaine pâture, et qu’elle nécessitait un troisième niveau d’adaptation, à l’échelle de la communauté villageoise et des terroirs.
Définitions
Les systèmes de culture sous couvertures végétales sont une forme d’agriculture de conservation où le semis est effectué sans labour sur un sol maintenu couvert par l’utilisation de mulch (constitué de résidus des cultures principales et de couverture), de déchets organiques, etc.) et/ou d’association avec des plantes de couverture.
GDS : Pourquoi la vaine pâture a-t-elle constitué une contrainte à la diffusion des SCV ?
OB : La pratique de la vaine pâture permet aux animaux, en particulier ceux des éleveurs nomades, d’avoir accès aux résidus végétaux une fois la récolte terminée. Mais cette pratique n’est durable que dans un contexte de faible pression sur les ressources en sol et en résidus organiques, qui constituent la composante essentielle de restauration de la fertilité des sols. D’autres contraintes peuvent rendre difficile toute diffusion des SCV en Afrique sub-saharienne : les feux de brousse, lorsqu’ils sont mal contrôlés, menacent de détruire les résidus de culture ; l’insécurité foncière n’incite pas les agriculteurs à investir du temps et des moyens dans leurs terres, car ils ne sont pas assurés d’en tirer tous les bénéfices. C’est pour s’attaquer à ces contraintes collectives qu‘une démarche de concertation entre acteurs a été initiée dès 2010 à l’échelle de la communauté villageoise, dans une dizaine de « terroirs tests ».
GDS : Quel était l’objectif de ces terroirs tests ?
OB : Ces terroirs tests ont d’abord permis de réaliser un diagnostic précis de la situation globale : quelles sont les contraintes climatiques ? Les agriculteurs ont-ils accès à des intrants (engrais minéraux, pesticides) ? Comment les communautés sont-elles organisées ? Quels sont les rapports entre agriculture et élevage ? Chaque terroir test était représentatif d’un plus grand ensemble socio-économique. Ensuite, à l’intérieur de ce terroir on a trié des systèmes SCV et des systèmes fourragers adaptés aux besoins des paysans et aux contraintes socio-économiques locales. Parallèlement ont été mis en place des cadres de concertation réunissant des représentants de l’ensemble des composantes sociales (petits et gros agriculteurs, éleveurs, agro-éleveurs, chefs traditionnels, personnalités non agricoles comme des pasteurs ou des imams) et dont l’objet était d’assurer la définition et le suivi de nouvelles règles collectives. Dans le cas de la vaine pâture par exemple, ces cadres de concertation visaient à expliquer qu’il valait mieux ne pas avoir l’ensemble du terroir en vaine pâture mais plutôt avoir des zones de production de fourrage pour les animaux et des zones de culture en SCV sans droit de vaine pâture, des zones de vaine pâture et enfin des zones tampons où la négociation et les accords individuels étaient permis. Des grandes règles (répartition des espaces de pâturages, sanctions en cas de feu de brousse, etc.) sont ensuite adoptées après concertation au sein des grands regroupements d’acteurs (agriculteurs, éleveurs, agro-éleveurs, chasseurs, etc.)
Une équipe du cadre de concertation sur le terrain (© Cirad)
GDS : Comment les différents acteurs ont-ils perçu cette remise en cause de règles comme la vaine pâture ?
OB : Globalement, cette procédure a été bien acceptée. Dans les terroirs d’agriculteurs, elle permet la mise en place des conditions assurant un bon développement des activités d’élevage. Dans les terroirs à dominance d’éleveurs, ces règles ont incité à la mise en place de parcelles fourragères pour répondre au besoin du bétail. Les éleveurs ont compris que ce n’était pas parce qu’on allait mettre un tiers du terroir en conservation que leur bétail allait avoir moins d’aliments, car dans les deux tiers qui restaient, on pouvait produire plus de ressources pour leurs animaux. D’ailleurs, les éleveurs eux-mêmes se sont lancés en premiers dans la production de fourrage, qui s’avère plus bénéfique que la vaine pâture qui implique beaucoup d’efforts de déplacement et des risques de pénalités pour l’éleveur et son troupeau. Avec un quart d’hectare de parcelles fourragères un éleveur produit suffisamment pour alimenter la moitié ou le quart de son troupeau pendant une année. Les experts pensent généralement qu’on ne peut pas diffuser les SCV étant donné la vaine pâture, l’insécurité foncière ou les feux de brousse. Or ces règles entravent le développement agricole de l’Afrique subsaharienne. Tout l’intérêt des SCV, c’est de proposer des solutions techniques permettant de lever ces obstacles. Il est essentiel pour cela de ne pas penser la diffusion des SCV comme une fin en soi, mais plutôt comme un moyen de faire évoluer le mode d’organisation villageois traditionnel pour mieux répondre aux besoins actuels et futurs. C’est l’enjeu de la durabilité !
GDS : Quels ont été les résultats observés dans ces terroirs tests ?
OB : L’un des meilleurs effets des SCV au sein des terroirs a été l’augmentation de la production totale de biomasse. Une meilleure maîtrise des thèmes techniques par les agriculteurs a permis d’obtenir de meilleurs rendements sur les parcelles, ainsi que des économies substantielles sur les charges. Les conflits entre agriculteurs et éleveurs ont fortement diminué. Cette concertation a également permis de mettre en place des conditions de location des parcelles plus adaptées à une gestion durable — des baux à moyen et à long terme — et de mettre en place un mode d’organisation permettant de limiter les feux de brousse. Enfin, particulièrement pour l’élevage, les projets SCV ont permis de diffuser des innovations techniques telles que la culture fourragère.
GDS : Les résultats de ces terroirs tests se sont-ils diffusés à plus large échelle ?
OB : Il n’y a pas de diffusion spontanée par imitation car ce sont des systèmes complexes : la mise au point technique de systèmes SCV nécessite l’introduction des plantes et des semences de graminées et de légumineuses qu’on ne retrouve pas souvent dans ces villages. Il faut également un suivi technique de proximité pour assurer un bon contrôle de la concurrence entre les plantes, et pour l’utilisation des plantes et cultures nouvelles. Il faut dire que, même pour une culture traditionnelle comme le maïs, l’itinéraire en SCV modifie beaucoup les pratiques traditionnelles telles que le nombre et le type d’opérations de sarclage, d’apport d’engrais, de récolte. Tout cela peut être jugé très contraignant pour l’agriculteur au départ, et mérite d’être accompagné. De plus, la conduite même de la concertation nécessite une facilitation et un accompagnement spécifique. On a observé un grand décalage entre ce qui se passait dans ces terroirs tests et ce qui était ensuite diffusé dans les villages. A la lumière de ces résultats, nous abordons maintenant une nouvelle phase de diffusion des SCV, dans le cadre du programme ASGIRAP (Appui à la sécurisation et à la gestion intégrée des ressources agropastorales). Nous allons élargir la zone d’action et travailler avec 200 communes, en prenant comme point de départ non pas seulement la promotion des SCV, mais l’ensemble du processus de concertation. C’est une fois que les producteurs auront travaillé sur l’identification des problèmes et des besoins à affronter qu’on leur proposera et qu’on élaborera avec eux des systèmes adaptés. Cela pourra être des SCV, mais aussi des systèmes d’agroforesterie ou tout autre système visant une intensification écologique des agrosystèmes.