L’agriculture doit aujourd’hui relever un certain nombre de défis cruciaux : nourrir une population croissante et de plus en plus urbaine, lutter contre la pauvreté et les inégalités et assurer une gestion durable des ressources naturelles et de l’environnement. Pour certains, l’agroécologie représente l’une des réponses les plus pertinentes à ces défis.
Le terme n’est pas nouveau puisqu’il apparaît pour la première fois dans la littérature scientifique dans les années 1930. Mais depuis quelques années, il semble connaître un succès croissant. Les publications se multiplient, mettant en avant les nombreux intérêts – environnementaux mais aussi sociaux et économiques – de ce mode de production agricole. Les agences de coopération intègrent davantage des programmes en faveur de pratiques agroécologiques et certains Etats, comme la France et le Brésil, en ont fait un axe de leur politique agricole nationale. Les 18 et 19 septembre derniers, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a même organisé, à l’initiative de la France, un symposium international sur l’agroécologie qui a rassemblé plus de 350 participants (chercheurs, agriculteurs, ONG, décideurs publics…) venant de plus de 30 pays.
En Afrique de l’Ouest et du Centre, si les pratiques dites « agroécologiques », comme le zaï ou l’usage d’arbres, sont loin d’être nouvelles, il semblerait que le terme suscite là aussi un intérêt croissant. Plusieurs organisations de producteurs en particulier développent des dispositifs de formation et des activités de promotion et de sensibilisation sur des pratiques agroécologiques. Au niveau régional, la Banque mondiale et le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) se sont engagés à consacrer un milliard de dollars à des projets dans douze pays, visant à mettre en oeuvre des approches intégrées de gestion durable des terres, de l’eau et des forêts et des actions liées à la prévention des risques et à l’adaptation aux changements climatiques.
Derrière ce foisonnement apparent d’initiatives et de publications se dessine un certain nombre de questions. Tout d’abord, quelle(s) définition(s) les acteurs donnent-ils de l’agroécologie et quelles représentations du développement agricole ces définitions laissent-elles entrevoir ? Une série de concepts plus ou moins proches sont utilisés dans la région — agroécologie, agriculture durable, agriculture écologiquement intensive, agriculture intelligente face au climat… — non sans soulever un certain nombre de débats d’ailleurs. Quelle est la spécificité du terme « agroécologie » ? Existe-t-il une définition partagée de ce concept entre les acteurs de la région ?
La multiplication de publications et d’événements consacrés à l’agroécologie invite également à interroger ce qu’il en est réellement sur le terrain. Quelles approches et techniques l’agroécologie recouvre-telle en Afrique de l’Ouest et du Centre ? Par quels acteurs sont-elles mises en oeuvre ? Quels succès et quelles limites ces expériences rencontrent-elles ? Car en dépit des nombreux intérêts de l’agroécologie régulièrement mis en avant par ses promoteurs, il semblerait que le passage à des expériences de plus grande ampleur reste difficile. Certaines pratiques agroécologiques traditionnelles, comme les parcs à karité, ont en effet du mal à se maintenir, tandis que des innovations agroécologiques récentes, comme le semis sous couverture végétale, sont rarement adoptées à grande échelle. Pourquoi l’agroécologie peinet- elle à changer d’échelle en Afrique de l’Ouest et du Centre ? À quels obstacles les pratiques agroécologiques se heurtent-elles ? Quelles ont été les limites des démarches visant à diffuser l’agroécologie dans la région ?
Ce numéro de Grain de sel consacré à l’agroécologie en Afrique de l’Ouest et du Centre tente de répondre à ces différentes questions, en faisant participer au débat une diversité d’acteurs, chercheurs et praticiens, du Nord et du Sud.
Le numéro s’attache tout d’abord à examiner le concept d’agroécologie, son origine, ses évolutions et ses définitions pour les acteurs de la région. Des articles présentent ensuite une série d’expériences, au niveau national et local, illustrant les réalités, les succès et les limites des pratiques agroécologiques sur le terrain. La dernière partie du numéro interroge plus précisément les obstacles et les leviers à un changement d’échelle des pratiques agroécologiques en Afrique de l’Ouest et du Centre. Dans chaque partie, des expériences d’autres régions du monde visent à éclairer et enrichir le débat.
Bonne lecture !
Nous tenons à remercier l’ensemble du comité de rédaction pour son appui et ses conseils tout au long de la réalisation de ce numéro, et plus particulièrement Valentin Beauval, Patrick Delmas, Patrick Dugué, Pierre Girard et Sébastien Subsol. Nous remercions également Aly Faye et Souleymane Cissé d’IED Afrique et Adeline Derkimba du CARI pour leurs précieux apports à l’élaboration de ce Grain de sel.