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Ceci est un article de la publication "52-53 : Les semences : intrant stratégique pour les agriculteurs", publiée le 10 avril 2011.

Les semences, un intrant stratégique concentrant beaucoup d’enjeux

Fanny Grandval/Valentin Beauval

Semences

Cet article présente l’évolution des dispositifs publics et privés en matière de sélection végétale. Il vise à mettre en lumière, au regard des dispositifs et contraintes existantes dans les pays riches, les enjeux associés à la sélection, la multiplication et la diffusion des semences dans les PED, notamment en Afrique.

La semence est un élément stratégique des systèmes de production agricole : sans semences de qualité et adaptées aux évolutions des contextes pédoclimatiques, la survie des sociétés rurales serait compromise. Le travail de sélection permettant de produire des variétés adaptées aux besoins des sociétés est donc fondamental, de même que celui de la multiplication des semences et plants présentant les caractéristiques favorables lors de leur semis.

Historique de l’origine de la sélection variétale : des champs aux laboratoires. En premier lieu, il est important de rappeler le rôle fondamental des paysans dans la domestication des espèces. Nos ancêtres ont pratiqué des sélections principalement massales* mais aussi basées sur des caractères recherchés des plantes entières, caractères parfois associés à des spécificités culturelles des sociétés rurales. Dans des environnements très variés, ils ont domestiqué un grand nombre d’espèces, avec une multitude de variétés adaptées à des écosystèmes particuliers. Il s’agit le plus souvent de « variétés populations* » ayant une grande diversité génétique. Elles contribuent encore aujourd’hui à l’alimentation d’une part importante des populations du globe.

« Les paysans ont domestiqué des milliers d’espèces mais seulement 150 d’entre elles sont actuellement utilisées par les grandes filières alimentaires, 20 fournissent à elles seules 95 % des calories de l’humanité et 3 seulement d’entre elles (blé, riz et maïs) en fournissent 50 % »

Au xixe siècle, les premiers sélectionneurs européens sont partis des variétés produites par les paysans et ont utilisé de nouvelles méthodes permettant d’obtenir plus rapidement des plantes ayant les caractères qu’ils recherchaient (productivité, goût, résistance à une nouvelle maladie, etc.). Ils ont le plus souvent obtenu des « lignées pures* » et des clones* (pour la vigne ou les arbres fruitiers) présentant nettement moins de diversité génétique que les « variétés populations » des paysans, lesquelles jouent toujours un rôle fondamental pour l’introduction de caractères nouveaux et, en particulier, l’adaptation aux aléas et changements climatiques (cf. article de D. Bazile et al).

Le long travail de sélection des obtenteurs* représente un coût important. Face à ce constat, trois options ont été menées en parallèle :
(1) Les centres publics de recherche ont fourni aux agriculteurs des semences généralement « libres de royalties* ». Cela fut le cas des variétés de blé, riz, maïs non hybrides, légumineuses alimentaires de la révolution verte des années 70 à 90. Et c’est encore le cas pour la plupart des variétés produites dans les centres publics de recherche de nombreux pays en développement (PED). Par contre, les budgets de ces centres étant en fort déclin ces deux dernières décennies, ils produisent nettement moins de nouvelles variétés que par le passé…
(2) Parallèlement aux activités des centres publics, des obtenteurs privés se sont développés. Ils ont légitimement souhaité obtenir un retour sur investissement afin d’amplifier leurs activités de sélection. Les agriculteurs doivent donc payer des royalties lorsqu’ils achètent les semences de ces obtenteurs. À noter qu’en Europe, lors de la création de l’Union des protections des obtentions végétales* (UPOV) en 1960, ces obtenteurs n’ont pas opté pour le brevet mais pour le Certificat d’obtention végétale* (COV) qui protège la variété pendant une vingtaine d’années avant de passer dans le domaine public avec accès sans royalties. Le COV présente deux avantages : d’une part il laisse le libre accès à la diversité génétique à la différence du brevet (un autre obtenteur peut immédiatement et librement utiliser la variété produite dans un nouveau croisement) ; d’autre part l’autoproduction de semences à la ferme est autorisée sans paiement de royalties.
(3) Parallèlement aux deux options précédentes, des obtenteurs privés ont développé au début du xxe siècle aux États-Unis sur le maïs, la pratique de l’hybridation* à partir de lignées homozygotes* et brevetées. Les hybrides F1* obtenus ont certes de belles performances en regard de celles de leurs parents mais ces performances déclinent dés qu’on les ressème, ce qui incite les agriculteurs à racheter chaque année leurs semences. Un vaste marché s’est alors ouvert aux obtenteurs développant ce type d’hybride protégé par des brevets…

L’apparition de nouvelles biotechnologies. L’accélération des avancées scientifiques prend de vitesse le droit. Les firmes phyto-semencières (Monsanto, Syngenta, BASF, etc.) se livrent une guerre sans merci et dominent les « petits et moyens obtenteurs ». Elles ont d’ailleurs racheté bon nombre d’entre eux. Pour se défendre, ceux-ci ont fait adopter le COV 91, avec le concept de variété essentiellement dérivée* (VED), qui les protège contre une confiscation de leurs travaux et investissements par les multinationales des semences. Pourtant, les brevets se multiplient, et à la fin des années 2000, les différences entre COV et brevet s’amenuisent fortement. Pour accroître leurs profits dans les pays du Nord et certains pays du Sud, ces grandes firmes font un lobbying incessant auprès des décideurs pour rendre illégales et à défaut taxer toutes les semences produites à la ferme. Elles cherchent ainsi à accroître leur marché en rendant incontournable l’achat de semences chaque année par les paysans.

La regrettable perte d’autonomie semencière des agriculteurs européens. Dans l’Union européenne (UE), la semence est devenue un « intrant » coûteux que les organismes économiques d’amont cherchent à vendre chaque année aux agriculteurs. Par exemple, les agriculteurs français souhaitant cultiver du maïs ou du tournesol ne trouvent sur le marché que des variétés hybrides* produites par les grandes firmes semencières et le coût par hectare de ces semences est impressionnant : en moyenne 150 euros pour le maïs et 100 euros pour le tournesol soit, selon les années, entre 10 et 20 % de la valeur de la production espérée ! Et comme il s’agit d’hybrides, la production baisse nettement si l’agriculteur ressème la production. Il doit donc racheter la semence chaque année.
Pour les semences non hybrides (céréales à paille, légumineuses, etc.), les variétés utilisées dans les pays de l’UE sont principalement des variétés d’obtenteurs privés mais de fortes différences existent entre pays en matière de schéma de multiplication et de collecte de royalties : au Royaume-Uni, les semences sont principalement triées à la ferme à partir de la production de l’agriculteur ; et les organismes privés faisant ce triage collectent les royalties pour le compte des obtenteurs.
En France, un dispositif assez lourd de multiplication de semences certifiées a été mis en place pour les céréales à paille. Il semble moins efficient que les systèmes décentralisés.

Zoom sur l’Afrique subsaharienne : quels enjeux face à quels constats ?

La biodiversité végétale, fondement de l’alimentation et des agricultures africaines. Comme le signale Oumar Niangado, en Afrique subsaharienne, région peu industrialisée, la population dépend de la biodiversité pour 85 à 90 % des besoins de base. Cette région du monde est un important centre de biodiversité. C’est le principal foyer de diversité du riz africain, du mil, de l’igname, du sorgho, du niébé et du fonio. Les paysans ont contribué au développement de la diversité cultivée au sein de ces différentes espèces et leurs systèmes de productions sont très variés. On peut même affirmer que chaque terroir possède sa propre gamme de variétés. Cela, associé généralement à la variabilité dans le démarrage de la saison des pluies, explique que les paysans peuvent changer de variétés à tout moment. Pour les principales cultures vivrières, il est donc pratiquement impossible de planifier à l’avance la demande de semences.

Des politiques et législations semencières souvent peu adaptées aux conditions africaines. Dans les pays d’Afrique subsaharienne, le système semencier est souvent composé de deux filières, une formelle et l’autre informelle, qui se superposent et souvent s’ignorent. Mis en place par l’État, le système dit « formel » est inspiré du modèle français de production et de distribution des semences. Il associe les acteurs suivants : (1) la recherche, chargée de la création variétale et de la production de semences de base* ; (2) le service semencier national, chargé de la production de semences certifiées (R1 et R2*) soit en régie, soit à travers des réseaux de paysans semenciers ; (3) le service étatique chargé du contrôle et de la certification de la qualité des semences ; (4) des structures de vulgarisation ; (5) les paysans, acheteurs potentiels des semences certifiées produites.
Comme le mentionne O. Niangado, ce système a rarement donné satisfaction, bien que l’État et ses partenaires y aient injecté beaucoup de moyens. Plusieurs raisons expliquent cette situation : la difficulté d’apprécier l’offre et surtout le volume et la nature des demandes paysannes, en particulier dans les régions à fort aléas climatiques ; le faible pouvoir d’achat des agriculteurs ; la faible adaptation de certaines variétés proposées par la recherche aux systèmes de production paysan ou aux besoins de la transformation artisanale ; le manque de personnel qualifié pour produire les semences, etc.
À partir des années 80, suite à l’ajustement structurel, le rôle des États pour la production de semences certifiées s’est réduit. En partenariat avec les centres publics de recherche, des ONG ont parfois pris la relève de l’État pour la multiplication et la distribution de semences. Le secteur public conserve cependant et à juste titre, le rôle de certification.

Des systèmes semenciers majoritairement informels et devant être confortés. Pour les cultures vivrières traditionnelles, les systèmes semenciers dit « informels » sont prédominants (cf. tableau ci-après) et, comme l’affirme O. Niangado, « dans les pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (AOC), plus de 80 % des semences de cultures vivrières proviennent de la production du paysan. La semence est le facteur de production le plus important et actuellement le moins coûteux pour les agriculteurs africains ».


Légende: Origine des variétés actuellement utilisées au Burkina et au Mali

Les paysans récoltent souvent dans leurs champs les plus beaux épis, panicules ou gousses qu’ils conservent comme semence pour les prochains semis. Chaque paysan assure ainsi son approvisionnement à partir de la production de ses champs et, si nécessaire, d’échanges, de dons ou d’achats dans son environnement proche. Le commerce de semences est en général très faible. C’est seulement en cas de catastrophe (sécheresse, inondation, guerre) que la semence devient un enjeu critique. Une nouvelle variété est d’abord évaluée sur une petite surface avant d’être utilisée sur une parcelle plus grande. Il n’y a pas de contrôle formel de qualité ou plutôt « le paysan acquéreur » assure lui-même le contrôle au moment de l’utilisation.
Il faut mentionner que les paysans d’AOC accordent une importance mineure à la pureté variétale des semences de leurs cultures vivrières. Il leur arrive d’ailleurs de mélanger différentes variétés voire différentes espèces. De plus, l’homogénéité et la stabilité des variétés qui préoccupent tant les firmes semencières du Nord sont rarement à leurs yeux des critères importants.
Ces pratiques des paysans africains sont favorables à leur autonomie semencière mais aussi, grâce aux échanges, à l’amélioration de leur biodiversité cultivée. Sur le plan économique, elles rendent les semences accessibles pour les nombreux paysans qui ont peu de ressources financières et craignent de s’endetter avec les taux d’intérêts souvent importants des crédits de campagne. Plusieurs enjeux clés se dégagent de ce diagnostic. L’enjeu de la biodiversité cultivée, en perte de vitesse à l’échelle mondiale, est primordial pour l’avenir de l’agriculture du continent africain. Les systèmes de production agricole d’une grande majorité d’agriculteurs entretiennent-maintiennent cette biodiversité semencière d’autant plus essentielle pour adopter des stratégies d’adaptation efficaces face aux aléas climatiques qui s’intensifient. Comment préserver cette biodiversité, sous quelle forme, et quel rôle les agriculteurs ont-ils à jouer ?
La question de l’accès des paysans à des semences de qualité, adaptées à leurs contextes culturaux et à leurs besoins est majeure. Vu la perte d’autonomie semencière de nombreux agriculteurs dans les pays du Nord, la question du maintien de cette autonomie au Sud est un défi pour les organisations paysannes. Les modèles d’organisation des systèmes semenciers sont interrogés, ainsi que les stratégies des multinationales dans le processus de privatisation du secteur et de mise sous dépendance des paysans.

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