Grain de sel : Pouvez-vous nous présenter votre parcours, ainsi que votre association Yam Pukri ?
Sylvestre Ouedraogo : Yam Pukri est une association basée au Burkina Faso et spécialisée dans la formation, l’information et le conseil en nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Chez nous, la micro-informatique et le réseau Internet sont considérés comme un luxe. C’est pour faciliter l’accès à ces technologies, notamment pour des publics de jeunes ou de ruraux, que Yam Pukri a vu le jour il y a une dizaine d’années. Yam Pukri en langue locale Moore signifie « Éveil de l’intelligence ». Notre particularité est notamment de soutenir les associations (par exemple les organisations de producteurs) et les ONG dans leur accès aux NTIC et d’effectuer, en plus d’autres actions, des formations itinérantes en informatique dans les villages.
Enseignant en agronomie, je suis autodidacte sur le plan des nouvelles technologies. J’ai commencé à m’y intéresser quand j’étais étudiant à la faculté, où j’étais chargé de la gestion de la salle informatique. Au fil du temps, j’ai souhaité toucher un plus large public. J’ai progressivement lancé des activités à l’extérieur de l’université, en commençant dans un lycée technique. J’ai débuté avec 2 ordinateurs, puis rapidement, on m’en a offert d’autres pour étendre mon activité. C’est ainsi qu’est née l’association Yam Pukri en 1998. Nous avons eu de la chance d’avoir du soutien et d’être arrivés au bon moment. Très vite nous avons été associés à un réseau ouest africain sur les NTIC. Nous avons monté 4 centres à Ouagadougou, un centre à Bobo, d’autres en province, puis nous nous sommes concentrés sur le milieu rural. Aujourd’hui, nous effectuons surtout des prestations hors de Ouagadougou, pour accompagner les populations rurales.
GDS : Sur quoi portait votre thèse en agronomie ?
SO : Ma thèse portait sur les coûts de transaction (les coûts « cachés ») inhérents aux systèmes de commercialisation des produits agricoles. Souvent, on pense que les commerçants sont des escrocs et des voleurs ; mais c’est parce que l’on ne voit pas les « coûts cachés » dans le prix final. La marge dégagée par leur activité n’est pas plus élevée que dans d’autres secteurs, sinon tout le monde serait devenu commerçant de céréales ! Ils font face à des risques très élevés. Les vrais spéculateurs sont plutôt des fonctionnaires dotés en large capital. Peu de commerçants spéculent, car ils n’ont pas un capital suffisant pour bloquer des volumes importants de céréales pendant 6 mois, surtout que les prix peuvent chuter, moyennant quoi ils sont perdants. Ils font tout pour limiter les risques en ne stockant pas longtemps. Ils ont un grand réseau d’information pour regrouper rapidement les céréales, avoir une grosse quantité et pouvoir négocier très vite ; car s’ils tardent trop, les prix peuvent baisser et ils perdent de l’argent.
Ma thèse montrait que les organisations paysannes engagées dans le commerce de céréales ne peuvent pas être efficaces. Le commerce privé est plus souple et maniable que les OP. Il y a même des femmes qui vendent plus que tous les stocks de la banque de céréales ; elles ont pourtant un petit capital, mais font de nombreuses rotations. Les OP sont meilleures dans certaines activités ; pour d’autres, qui ne relèvent pas de leur spécialité, les marchés peuvent être plus efficaces. De plus, toute activité qui peut être menée par une seule personne ne convient pas forcément à une organisation, car une décision prise de manière collective prend du temps et le marché change vite.
GDS : Pensez-vous que les nouvelles technologies peuvent aider les OP ?
SO : Les NTIC peuvent améliorer la transparence de l’information et ainsi corriger les distorsions du marché. Cela dit, les NTIC ne sont pas toujours la solution. Ce n’est pas forcément en mettant à disposition un ordinateur ou un téléphone mobile que l’on va résoudre les problèmes. S’il est nécessaire que l’organisation achète un vélo pour résoudre ses problèmes de communication, c’est mieux qu’elle achète un vélo. Nous accompagnons les organisations dans leur réflexion, pour voir en quoi ces technologies peuvent les aider. Souvent les organisations dans le monde rural se plaignent de manquer de ceci ou cela. Or il arrive que le problème ne soit pas le manque. Par exemple, pour une personne qui saisit une page par mois ce n’est pas la peine d’avoir un ordinateur. Elle peut envoyer son papier à Ouagadougou, on fera la saisie pour elle. On ne veut pas pousser les organisations à acquérir du matériel. On peut leur conseiller des stratégies beaucoup plus simples pour transférer de l’information.
GDS : Quelles sont les perspectives pour Yam Pukri ?
SO : Ces deux dernières années, nous avons mis l’accent sur l’utilisation du téléphone mobile. Nous réfléchissons à comment utiliser au mieux le téléphone mobile, surtout dans les endroits où il n’y a pas internet. Nous avons testé par exemple Frontline SMS. C’est une plateforme qui permet, à partir du mobile et d’un ordinateur, d’envoyer des informations (par exemple des prix de produits agricoles). On peut ainsi envoyer 500 SMS à un réseau. Le problème, c’est que le service est payant. On peut également mener des enquêtes à partir du téléphone mobile, pour incrémenter et traiter rapidement une base de données. Nous testons aussi des logiciels de gestion des stocks.
Nous sommes en perpétuelle exploration. Actuellement nous sommes en train de mettre en place une plateforme de formation à distance pour certains modules des NTIC. L’idée est d’offrir un savoir pratique sur les NTIC (par exemple multimédia, gravure de CD, scanner, montage audio vidéo, excel, etc).