Jouissant d’une position privilégiée dans la sous-région, le Nigeria est appelé à jouer un rôle pivot dans l’espace Cedeao. Encore faut-il que les élites et les politiques publiques nigérianes se révèlent à la mesure de cet enjeu.
Un poids économique décisif dans la sous-région. À l’intérieur comme à l’extérieur, nul ne conteste plus la vocation du Nigeria à dominer et structurer son environnement sous-régional, tout en jouant un rôle clé au sein des organisations africaines et internationales. On est bien loin de l’époque où, à la fin des années soixante, les difficultés internes du pays, mêlées aux perspectives d’une montée en puissance associées à sa richesse pétrolière et à sa taille, pouvaient inciter certains à souhaiter son éclatement en une série de micro-États. Depuis les années 1970, le développement des échanges entre le Nigeria et ses voisins, enracinés dans l’histoire des sociétés précoloniales et dans les réseaux confrériques du Nord Nigeria, n’a rien perdu de son dynamisme, désormais stimulé par la présence d’une importante diaspora nigériane en Afrique de l’Ouest. Le Nigeria s’est érigé en un espace incontournable au regard de l’ampleur de ses ressources, de son poids démographique et de l’attrait exercé sur les économies avoisinantes. Étroitement dépendante des fluctuations de l’économie de la Fédération, l’imbrication de fait des économies de la sous-région au Nigeria n’a cessé de progresser.
Une position stratégique en termes sécuritaire et énergétique. Durant les années 1990, l’État nigérian a également contribué de manière décisive à l’élargissement du mandat de la Cedeao au delà de ses objectifs économiques, afin d’y intégrer la question de la sécurité et de la gouvernance des populations. Formalisée dans le cadre du protocole de1999, et largement reprise par l’acte constitutif de l’Union africaine, cette évolution tirait les leçons de l’intervention, impulsée par le Nigeria, de la Cedeao/Ecomog (Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group: la brigade de surveillance du cessez-le-feu de la Cedeao) au Libéria et en Sierra Léone. La décennie qui vient de s’écouler a enfin et surtout suscité une valorisation supplémentaire du Nigeria, sans doute liée à la fin des régimes militaires, mais aussi et surtout à la qualité de ressources pétrolières situées dans une région ouest africaine qui, outre la multiplication de découvertes prometteuses, est devenue stratégique depuis le 11 septembre 2001.
La faiblesse des politiques publiques. Aujourd’hui, les invitations à l’expression d’une puissance nigériane se doublent toutefois d’interrogations croissantes quant aux effets induits d’un système politique qui a également pour marque de fabrique une faible capacité à produire les politiques publiques. La fin des dictatures militaires est loin d’avoir contribué à apaiser les tensions internes propres au fonctionnement d’un système fédéral explicitement fondé sur la valorisation et la codification des clivages et identités géo-ethniques dans le cadre de la doctrine dite du « caractère fédéral ». Parce que l’accès aux ressources et fonctions repose sur le seul droit du sang (jus sanguinis), les discriminations dont sont victimes les populations dites « non indigènes » dans un État, constituent un facteur de tensions récurrentes. Miné par des fraudes électorales massives en 2003 et 2007, le système politique nigérian demeure en attente de réformes constitutionnelles profondes. Il s’agit en particulier de remettre à plat les équilibres sur lesquels le pays s’était reconstruit (avec succès) après la guerre civile de 1967-1970. Faute d’être résolues, les questions posées continueront à alimenter la crise du système politique dont les symptômes font régulièrement l’actualité, qu’il s’agisse de la contestation que suscite la captation des revenus tirés du pétrole par une minorité (delta du Niger), de l’instrumentalisation du fait religieux (adoption du code pénal de la Charia dans 12 États du Nord, attaques du mouvement Boko Haram dans le Nord), enfin et surtout des violences entre populations dites indigènes et non indigènes (État du Plateau).
Corruption et économie informelle. Alors que le Nigeria conserve une remarquable capacité d’autodiagnostic (les travaux des différentes instances constitutionnelles en portent témoignage depuis trente ans), la capacité de réforme demeure entravée par la qualité médiocre des élites au pouvoir. Erigé par certains en prototype d’une captation de la sphère publique par des intérêts privés (État néopatrimonial et anti-développemental), le Nigeria témoigne de fait d’une faible capacité à produire et mettre en œuvre des politiques publiques. La poursuite des efforts des instances chargées de lutter contre la corruption et le renouvellement du personnel politique qu’engendrerait l’organisation d’élections véritablement compétitives en 2011 sont à souhaiter dans un tel contexte. La nomination d’Attahiru Jega comme président de la commission chargée de superviser les élections, mais aussi la candidature de Nuhul Ribadu, ancien président de l’Economic and Financial Crimes Commission, aux primaires présidentielles ont d’ores et déjà le grand mérite de replacer au centre des débats la question de l’intégrité des hommes et des politiques. Faute d’avancées dans ce domaine, l’imbrication du Nigeria au sein de la sous-région continuera de reposer très largement sur ce que l’on pourrait appeler une intégration « par défaut », plus liée au développement d’échanges non officiels qu’à la mise en œuvre de politiques et stratégies volontaristes.