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Ceci est un article de la publication "51 : Le Nigeria", publiée le 18 octobre 2010.

Une vision de l’agriculture et de l’agribusiness au Nigeria

Ndidi Okonkwo Nwuneli

Nigeria

L’agriculture du Nigeria vue par une experte nigériane. Si l’on retrouve à certains égards des situations rencontrées dans des pays voisins, notons le pragmatisme de l’analyse et l’accent porté sur l’esprit d’entreprise, qu’elle soit familiale ou de plus grande échelle.

Grain de Sel : Quel diagnostic faites-vous du secteur agricole au Nigeria ?
Ndidi Nwuneli : L’agriculture est le secteur le plus important de l’économie du Nigeria. Elle emploie 60 % de la population (dont une part importante de femmes en milieu rural) et contribue à 35 % du PIB du pays. Comme pour d’autres pays africains, l’agriculture au Nigeria reste en grande partie axée sur les cultures vivrières pour le marché intérieur, compte tenu de l’importance de la population nigériane, estimée à 150 millions de personnes. En dépit de cette réalité, le Nigeria reste un importateur net de produits alimentaires. Cela est dû à plusieurs raisons. Tout d’abord, la majorité des activités agricoles dans le pays se font à petite échelle et intègrent peu les innovations dans les domaines des intrants, de la récolte, de la transformation, de la distribution et de l’accès aux marchés. La majorité des agriculteurs se trouve dans une logique de subsistance, n’est pas alphabétisée et a un accès limité à la formation. En outre, les exportations du pays sont dominées à 95 % par les produits pétroliers et leurs dérivés, ce qui a fortement détourné l’attention portée au secteur agricole. En conséquence, les investissements privés et publics ont été largement insuffisants dans ce secteur. Cela a été exacerbé par l’absence de politiques fortes, cohérentes et coordonnées à tous les niveaux du pays.

GDS: N’existe-t-il pourtant pas un fort potentiel de développement de l’agriculture au Nigeria ?
NN: Le potentiel du secteur agricole au Nigeria est effectivement énorme. Nous avons des bases solides : des atouts naturels, en particulier des terres (39,6 millions d’hectares de terres arables, dont 60 % sont exploitées), un climat, de l’eau, des zones côtières et une économie agricole. Aujourd’hui, le Nigeria est l’un des plus grands producteurs au monde de tubercules (patate douce, igname, manioc), de fruits (mangue, papaye), de céréales (mil, sorgho, sésame) et de noix de cajou. En outre, la population du pays représente un immense marché intérieur, qui peut entrainer et soutenir la production agricole et la transformation locale. Le Nigeria joue également un rôle clé en Afrique de l’Ouest, où il existe d’importants marchés régionaux. Malheureusement, l’intégration régionale entre les filières agricoles reste faible : les pays ouest-africains échangent parfois plus facilement avec leurs anciens colonisateurs ou les États-Unis, qu’avec leurs voisins. Cela limite le développement de filières telles que le riz, le coton et le cacao, et renforce la dépendance aux importations.

GDS : Quels sont les responsabilités des secteurs public et privé dans le développement de l’agriculture au Nigeria ?
NN : Le secteur public doit créer un environnement propice au développement agricole. Il doit lever les entraves actuelles du secteur, renforcer notamment les politiques commerciales et foncières, investir dans l’enseignement et la recherche agricole, développer l’accès aux intrants, inciter les institutions financières (banques, compagnies d’assurance…) à soutenir le secteur privé, veiller à la mise en place de services de vulgarisation et de programmes de développement agricole au niveau des gouvernements locaux, améliorer les infrastructures, en particulier les réseaux routiers et électriques. En outre, l’agriculture doit être reconnue comme un secteur d’activité clé au Nigeria, ce qui nécessite l’engagement d’un secteur privé organisé à tous les niveaux des filières. Le secteur agricole offre d’importantes possibilités pour les petites et moyennes entreprises, qui peuvent créer de la valeur ajoutée et des emplois. Le secteur privé peut amener des financements dans les filières agricoles, ainsi que des appuis pour les équipements, la transformation, le transport, la distribution et le marketing.

GDS : Quels sont les préalables indispensables pour renforcer le secteur agricole du Nigeria ?
NN : Il y a un besoin urgent d’améliorer la productivité des petits exploitants agricoles, par l’accès aux semences améliorées, aux engrais, aux techniques de gestion de l’eau, aux équipements, aux financements et aux marchés. En effet, seulement 5 % des paysans nigérians utilisent aujourd’hui des semences améliorées, en raison de leur faible disponibilité, des problèmes de qualité et de leurs prix élevés. Le marché semencier est actuellement dominé par 4 compagnies au Nigeria, qui fournissent souvent des semences de qualité médiocre. Le taux d’utilisation d’engrais est d’environ 7 kg par hectare (à comparer à la moyenne mondiale de 100 kg/ha). Seuls 18 % des agriculteurs ont accès aux services de vulgarisation. Les techniques de production, de récolte et de transformation restent rudimentaires. Les capacités de stockage sont faibles, les structures de stockage et de manutention sont encore sporadiques et inefficaces, ce qui cause d’importantes pertes post-récolte et des fluctuations importantes dans les prix. Les emballages sont inappropriés car les fabricants connaissent mal les besoins des transformateurs. Les circuits de distribution directs et indirects sont fragmentés et souvent improvisés à des coûts extrêmement élevés. En outre, les prix élevés du pétrole ont considérablement affecté les coûts de transport.
Il faut souligner ce point de blocage en Afrique occidentale : l’énergie, notamment l’électricité. Celle-ci est nécessaire à la transformation, l’emballage et au stockage des produits agricoles. Malheureusement, l’électrification reste limitée dans les zones rurales et même dans les zones urbaines. Bon nombre de transformateurs sont obligés de recourir à des groupes électrogènes et de consacrer une part importante de leur budget à l’essence, elle-même de plus en plus chère.
Lever ces contraintes permettrait à terme à la production nigériane d’être compétitive par rapport aux importations, tout en restant abordable pour les consommateurs (la combinaison actuelle de faibles rendements, en moyenne 1,7 t/ha et du coût élevé du travail conduit à un prix du riz paddy d’environ 300 US$/t au Nigeria comparativement à 130-140 US$ en Thaïlande). Au-delà de l’enjeu des rendements, l’accent doit également être mis sur les filières agricoles, afin qu’elles soient efficaces et rentables.

GDS : Qu’entendez-vous par « agribusiness » ?
NN : Le terme « agribusiness » se réfère aux engagements et à l’implication des entreprises privées dans tous les domaines liés à l’agriculture : fourniture d’intrants, transformation, commercialisation, distribution et vente au détail. Cela met l’accent sur le fait que pour que l’agriculture soit durable, elle doit être considérée comme une entreprise économiquement rentable.
(NDLR : Certains termes dans la langue anglaise ne sont pas facilement traduisibles en français, ou n’ont pas la même connotation en français. C’est le cas par exemple du mot « agribusiness » : en anglais ce mot ne fait pas référence à l’agriculture capitaliste (comme en français), mais plus à l’entreprenariat agricole. Autre exemple : « Agriculteurs familiaux » en français se traduit par « small scale farmers » (littéralement « agriculteurs à petite échelle ») en anglais.)

GDS : Pensez-vous que l’agribusiness soit le seul moyen de développer l’agriculture au Nigeria ?
NN : Oui je le pense. Les agriculteurs africains sont restés trop longtemps dans une agriculture de subsistance. Avec la réduction de la taille des exploitations, l’appauvrissement et le vieillissement de la population agricole, mêlés à l’intérêt limité de la jeunesse à s’engager dans l’agriculture, il y a un besoin urgent de calculer le potentiel de rentabilité des investissements dans l’agriculture et de montrer qu’il peut être économiquement intéressant d’investir dans l’agriculture à court, moyen et long terme.

GDS : Existe-t-il actuellement des expériences intéressantes sur le terrain dans le domaine de l’agribusiness ?
NN : Il y a aujourd’hui assez peu d’exemples de filières agricoles prospères et efficaces au Nigeria. Des entreprises comme Olam, Nestlé et Nigerian Breweries s’approvisionnent avec succès auprès de petits exploitants agricoles et soutiennent la croissance à travers le développement des filières locales. Pour le cas de Olam dans l’État de Benue, grâce au soutien du programme USAID Markets, il a été démontré que des interventions coordonnées et ciblées peuvent générer une augmentation significative des rendements agricoles. En organisant les petits exploitants en groupes et en mettant à leur disposition des formations, des services de vulgarisation et des intrants à crédit, on a vu une augmentation importante des quantités de riz produites et livrées à l’usine.

GDS : Qu’est-ce qui peut être fait pour développer l’agribusiness? Comment peut-on favoriser la croissance du secteur privé?
NN : Il est important de souligner que seules des interventions globales pourront assurer une croissance durable et créatrice d’emplois. Par exemple la filière manioc, l’une des plus importantes au Nigeria, a bénéficié d’un soutien de « l’Initiative présidentielle » pour le manioc et ses produits dérivés (cossettes de manioc, farine, etc.). Grâce à un investissement minimal dans la recherche, l’information sur le s marchés, la fourniture d’engrais subventionnés et l’ouverture aux marchés internationaux, la filière manioc a reçu une impulsion majeure entre 2003 et 2007. Mais l’augmentation de la production de manioc a alors entraîné une saturation du marché, ce qui a découragé les agriculteurs. Cela démontre que si l’on met l’accent uniquement sur l’augmentation des rendements, sans investir dans la transformation et dans les autres maillons de la chaîne, les gains ne sont que de court terme et l’on n’aura pas une croissance sur le long terme.

GDS : Selon vous, quels sont les types d’agricultures qui devraient être encouragés ?
NN : Il faut encourager à la fois les agricultures familiales et celles à plus grande échelle. Chaque économie émergente a besoin que ces deux types d’agriculture travaillent ensemble et se soutiennent mutuellement. Les agricultures familiales doivent être modernisées et davantage tournées vers le marché. Le gouvernement a récemment lancé une « Initiative pour l’agriculture commerciale » pour soutenir l’émergence de grandes exploitations. Toutefois, étant donné qu’au Nigeria la majorité des agriculteurs possède des exploitations inférieures à un hectare, il est impératif que soient également mises en oeuvre des initiatives portées par une large population d’agriculteurs familiaux à la base.

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