En raison de son importance démographique et de sa superficie, le Nigeria est presque à lui seul un sous-continent. Son économie demeure l’une des plus dynamiques d’Afrique, affichant en 2009 une croissance du PIB autour de 6 %. Toutefois, la crise internationale a fait sentir ses effets par une baisse significative du prix du baril de pétrole, une raréfaction du crédit et un secteur financier fragilisé par des actifs toxiques. Ces éléments menacent les équilibres macroéconomiques précaires qui avaient été atteints entre 2003 et 2007, et rendent de moins en moins crédible l’ambitieuse « Vision 2020 » qui consiste à faire du Nigeria la 20ème économie mondiale d’ici à 2020. En effet, si le Nigeria représente la deuxième puissance économique en Afrique subsaharienne, son économie manque par contre de compétitivité (classée 93ème sur 134 pays). Le Nigeria réalise des performances supérieures à la moyenne de l’Afrique subsaharienne, mais bien inférieures à celles d’autres régions du monde. Peu diversifiée, son économie reste largement tributaire du secteur pétrolier, avec pour conséquence une forte corrélation entre la situation budgétaire du pays et la volatilité des cours du pétrole.
A contrario, le Nigeria a réussi à maintenir un niveau de dépendance alimentaire relativement bas par rapport aux autres pays ouest-africains. En ce qui concerne le riz, qui occupe une place centrale dans le débat sur la politique alimentaire en Afrique de l’Ouest, la mise en perspective des niveaux de dépendance rizicole à l’échelle sous-régionale montre une dégradation régulière de la balance rizicole, hormis au Nigeria. En effet, la riziculture du Nigeria a su en partie répondre à la croissance de la demande en riz, grâce à d’importantes politiques de soutien. Cependant si la production de riz local atteint les villes du centre du pays, les grands centres urbains côtiers restent largement approvisionnées par du riz importé. Ainsi, le Nigeria est à la fois l’économie agricole la plus puissante de la région, mais aussi celle qui importe le plus (de façon contrôlée et règlementée, comme de manière informelle et illégale).
Le développement des échanges entre le Nigeria et ses pays voisins reflète une mutation observable bien au delà de l’exemple du Nigeria. En effet, le repositionnement des échanges sur les marchés limitrophes et régionaux s’effectue dans deux sens apparemment contradictoires : d’une part, la promotion des logiques d’intégration régionale portées par la Cedeao, qui tendent vers l’érosion toujours plus aboutie des frontières ; et d’autre part, le développement des pays-frontières qui sollicite une utilisation accrue du différentiel frontalier. Le commerce intra-régional avec le Nigeria s’inscrit dans une diversité de réalités : enjeu de sécurité alimentaire au Niger via les flux informels en provenance du Nigeria, enjeu de concurrence avec le Cameroun, enjeu du commerce de réexportation du Bénin. Des marchés prospèrent de part et d’autre des frontières du Nigeria conférant à ces régions un remarquable dynamisme commercial. L’intensité des échanges commerciaux et l’ambivalence de leurs effets dans les différents pays suscitent beaucoup d’interrogations en matière de politique commerciale, notamment sur les produits céréaliers. Le Nigeria inscrit sa politique commerciale en fort contraste avec celle de ses voisins, autant par son instabilité que par sa tendance protectionniste. Bien qu’il ait souscrit aux dispositions de la Cedeao (et qu’il abrite son siège), le gouvernement nigérian continue de pratiquer des droits de douane élevés sur certains produits et de décréter des interdictions d’importations chaque année. Ces disparités entre les pays constituent une aubaine importante pour des réseaux marchands fortement intégrés à l’espace régional. Il est probable que la mise en oeuvre d’un schéma de libéralisation à l’intérieur de la zone Cedeao va renforcer les relations commerciales en direction du Nigeria, mais l’avenir du commerce de réexportation sera alors mis à mal. Un défi se pose ainsi aux différentes filières et donc à leurs acteurs : la reconversion et le développement des capacités de réponse à la demande des consommateurs, en particulier urbains. Ceci implique aussi pour le Nigeria, à supposer que les autorités en soient convaincues, une refonte importante de sa politique tarifaire (tarif douanier maximum à 35%, fin des interdictions d’importations).
Autant d’éléments qui posent question sur le rôle du Nigeria face aux enjeux de l’intégration régionale et en particulier la place que peut occuper son secteur agricole dans les dynamiques actuelles de la région. Nous espérons que ce numéro apportera quelques éléments de compréhension et de réponses.