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Ceci est un article de la publication "51 : Le Nigeria", publiée le 18 octobre 2010.

La politique agricole du Nigeria, à la recherche de cohérence dans les cadres stratégiques

Fanny Grandval/Mathilde Douillet

Politique agricole et rurale nationaleNigeria

Singulier sur de nombreux aspects, le Nigeria ne semble pas faire exception dans la région en matière de politique agricole. Il reste écartelé entre des potentialités importantes, des ambitions immenses et des réalisations aujourd’hui encore insuffisantes.

Au Nigeria, pays le plus peuplé du continent africain et dont la population urbaine s’accroît de manière exponentielle, l’objectif d’autosuffisance alimentaire que s’est donné le gouvernement reste un véritable défi. Dans un pays doté d’une croissance économique relativement rapide, cette ambition ne semble pas irréaliste mais demande encore de nombreux efforts.

Évolutions récentes : de l’interventionnisme à la libéralisation. Les politiques agricoles du Nigeria ont beaucoup évolué depuis l’indépendance du pays. Les années 60 se caractérisent par une forte intervention publique dans l’agriculture, avec la mise en oeuvre au niveau des différents États des orientations des plans de développement définis au niveau fédéral (quatre plans nationaux de développement (National Development Plan, NDP) se succèdent entre 1962 et 1985). Les priorités du gouvernement portent alors sur le renforcement de la production nationale, en particulier au niveau des cultures de rente. Cette période de fort interventionnisme public propulse le Nigeria au rang de premier producteur mondial de caoutchouc, d’arachide et d’huile de palme, ainsi qu’au second pour le cacao.
La période 1970-1986, qui coïncide avec l’exploitation intensive du pétrole, est marquée par le désintérêt des politiques à soutenir l’agriculture. Le fort déclin de la production agricole nationale réduit alors le pays à une dépendance croissante vis-à-vis des denrées alimentaires importées. Suite à l’importante crise alimentaire que connaît le pays en 1976, sont mis en place des programmes tels que « Feed the Nation » (1976-1979) et « Green revolution » (1979-1983). Ils se concentrent sur le renforcement de la production agricole, la fourniture d’intrants subventionnés, le développement communautaire et l’accès au crédit. Ces programmes sont toutefois mis en oeuvre sans cadre d’intervention structurant et transparent, et sans que la succession des gouvernements à la tête du pays n’en assure la continuité.
En 1978, la promulgation de la loi foncière (Land Use Act) marque un tournant historique dans l’histoire de l’aménagement du territoire au Nigeria. La tendance s’inverse ensuite en 1987 avec les Programmes d’ajustement structurel (Pas) qui visent à réduire la dépendance de l’économie nationale vis-à-vis du pétrole et à promouvoir le secteur privé comme moteur de la croissance. En 1998, le gouvernement nigérian porte un renouveau d’attention au secteur agricole. Il se dote d’une politique agricole dont un des objectifs est d’assurer la sécurité alimentaire de la population à travers le développement de la production locale.

L’agriculture au coeur des cadres stratégiques actuels du Nigeria. Depuis la Nouvelle politique agricole de 2001 (New agricultural policy on agriculture), document de référence en matière de politiques agricoles au Nigeria, le gouvernement accorde une ambitieuse place au secteur agricole dans les cadres d’orientations stratégiques. Le document de stratégie de réduction de la pauvreté du Nigeria, « National Economic Empowerment and Development Strategy » (NEEDS II 2008-2011) qui met l’accent sur un développement économique porté par le secteur privé, ainsi que l’Agenda en 7 points7-point Agenda »), cadre de référence pour l’orientation des réformes économiques du pays adopté en mai 2007, sont les documents programmatiques à moyen terme qui doivent permettre d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD 2015) ainsi que la vision 2020 du Nigeria. Cette dernière vise à faire du pays une des 20 premières économies mondiales d’ici 2020, ce qui nécessite, au niveau agricole, de multiplier par 6 la production nationale actuelle.
Le programme national de sécurité alimentaire (National Food Security Programme, NFSP), publié en août 2008 par le ministère fédéral de l’Agriculture et des Ressources en eau, a pour objectif d’atteindre la sécurité alimentaire en assurant la disponibilité et l’accessibilité à tout nigérian d’une nourriture de qualité, tout en faisant du Nigeria un important exportateur alimentaire. Il précise les filières prioritaires (manioc, riz, mil, blé) pour atteindre la sécurité alimentaire et définit des objectifs tout au long des filières dans le but de valoriser la production, notamment en aval, via l’amélioration du stockage, de la transformation et un meilleur accès aux marchés agricoles. Il inclue également l’aménagement de zones irriguées (450 000 ha).
Les cadres stratégiques de NEEDS II et de l’Agenda en 7 points ont été opérationnalisés en programmes à courtmoyen terme : l’Agenda en 5 points pour l’agriculture (« 5-point Agenda »), défini par le ministère fédéral de l’Agriculture et des Ressources en eau, est une feuille de route détaillée dont la mise en oeuvre devrait assurer l’atteinte des objectifs de l’Agenda en 7 points dans le secteur agricole.
Le gouvernement d’Olusegun Obasanjo a également lancé en 1999 des Initiatives présidentielles sur 7 produits agricoles (manioc, riz, huile végétale, sucre, élevage, arboriculture et céréales sèches). Leur objectif est non seulement de dynamiser les exportations agricoles du Nigeria en bénéficiant des accords préférentiels dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et des Accords de partenariat économique entre l’Union Européenne et les pays Afrique Caraïbe Pacifique, mais aussi de profiter du potentiel du marché régional des pays voisins. Si ces mesures ont montré que des investissements dans le secteur agricole peuvent donner des résultats concrets en termes d’augmentation de la production nationale, leur bilan est toutefois plutôt mitigé dans la mesure où seul le volet « intensification des productions » a été pris en compte, sans tenir compte de l’aval des filières (comme la transformation des produits).
La politique de soutien aux intrants agricoles constitue un élément central de la politique agricole du Nigeria depuis les années 50. Elle consiste principalement à attribuer des subventions publiques pour faciliter l’accès des agriculteurs aux intrants (engrais, semences améliorées, produits phytosanitaires). Le niveau des subventions fédérales a connu une évolution en dents de scie et leurs modalités de mise en œuvre ont été très changeantes. En plus des subventions fédérales, chaque État attribue ses propres subventions aux engrais, variant fortement d’un État à l’autre, tant au niveau des volumes (de 50 à 150 kg par agriculteur) que du taux de subvention (de 10 à 50 %). Toutefois de nombreux agriculteurs ont encore des difficultés à se procurer des intrants de qualité, dans les délais requis et à des prix abordables. Le gouvernement n’a pas encore réussi à mettre en place un système efficace de régulation et de suivi pour répondre aux problèmes de qualité et de fuite des intrants subventionnés au-delà des frontières du pays. Depuis 2008, un système de distribution des subventions aux intrants par coupons est testé dans certains États du pays.


© Centre du riz pour l’Afrique

Ecowap et intégration régionale : où en est le Nigeria ? Le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA) (le PDDAA constitue le volet agricole du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), stratégie globale de développement dont s’est dotée l’Afrique en 2001 pour combler le fossé séparant l’Afrique du reste du monde – NDLR), adopté en 2002, sert de cadre d’intervention aux politiques et stratégies de développement agricole pour l’ensemble du continent africain. Il vise à atteindre une croissance annuelle de la productivité agricole d’au moins 6 % et un investissement public dans l’agriculture d’au moins 10 % des budgets nationaux. En Afrique de l’Ouest, la Cedeao a adopté en janvier 2005 la Politique agricole régionale de l’Afrique de l’Ouest (Ecowap) et a élaboré un plan d’action régional 2006-2010. Il prévoit la formulation de programmes nationaux d’investissement agricole (PNIA) dans chaque pays, adoptés par l’ensemble des partenaires du secteur agricole par la signature d’un pacte, ainsi que d’un programme régional d’investissement agricole (PRIA).
Au Nigeria, le « pacte » Ecowap/ PDDAA a été signé fin 2009 et l’élaboration du PNIA a conduit à la définition de la stratégie à moyen terme du Nigeria, la MTSS (Medium term sector strategy) 2010-2012, pour les investissements financés par le gouvernement fédéral mais également les programmes de partenariats à l’initiative des bailleurs internationaux. Les mesures de politiques agricoles du 5-point Agenda sont en accord avec les grandes lignes du PDDAA.

Des politiques manquant encore de cohérence. La politique agricole du Nigeria présente des limites, liées à un manque global de cohérence à la fois dans la continuité des programmes, vis-à-vis des autres politiques sectorielles et dans la mise en oeuvre aux différents niveaux institutionnels.
Les politiques agricoles du Nigeria ont été pendant longtemps peu coordonnées et opportunistes. Certains regrettent le manque de continuité dans les politiques, ainsi que le peu d’analyse des acquis, des succès et des échecs des précédents programmes. Les stratégies sont parfois peu traduites en plans d’action sur le terrain. L’absence d’indicateurs complique le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre des politiques. En termes de cohérence avec les autres politiques sectorielles, peu de liens sont faits avec les politiques de développement rural, d’appui aux petites et moyennes entreprises, de gestion des ressources en eau ou des ressources naturelles. Enfin, au niveau institutionnel, il existe un flou dans la répartition des rôles entre les différents niveaux administratifs en matière de développement agricole. Le partage des rôles entre État fédéral, États et gouvernements locaux notamment ne semble pas optimal, qu’il s’agisse des secteurs d’intervention respectifs, ou du montant des ressources allouées. De manière générale, même si l’on constate une plus grande efficacité des programmes agricoles gérés au niveau des États par rapport à ceux du niveau fédéral, beaucoup déplorent le fait que l’élaboration des politiques agricoles soit descendante (« top-down ») et peu participative.

Cet article a été rédigé sur la base de ressources bibliographiques disponibles sur le site web d’Inter-réseaux : http://www.inter-reseaux.org/ressources-thematiques/ressources-par-pays/article/politiques-agricoles

Le financement public de l’agriculture du Nigeria en quelques chiffres

Un investissement public assez faible…
En 2008, le Nigeria a consacré 4,6 % de son budget fédéral total au secteur agricole. Ce montant reste largement en deçà de l’objectif de 10 % prévu dans les engagements de Maputo signés en 2003.

… mais une part relative du budget d’investissement bien supérieure au budget de fonctionnement
Depuis 10 ans, la part du budget agricole consacrée aux investissements est en moyenne 6 fois supérieure aux dépenses de fonctionnement, aussi bien aux niveaux fédéral qu’étatique.

La répartition des financements entre État fédéral, États, gouvernements locaux et bailleurs de fonds
Les bailleurs de fonds ne financent que 7 % des dépenses totales dans le secteur agricole. La majorité de leurs financements se concentre dans les services de soutien aux producteurs (infrastructure, transformation, financement).
Le reste des dépenses dans le secteur agricole est financé à hauteur de 57 % par l’État fédéral et 43 % par les États. Ainsi, augmenter les financements fédéraux ne suffit pas à améliorer les financements de l’agriculture du pays. Les gouvernements locaux financent également le secteur agricole, mais l’absence de statistiques ne permet pas d’évaluer leur contribution. La coordination des financements au niveau de l’État fédéral, des 36 États et des 774 gouvernements locaux reste difficile à organiser.
La part du budget consacrée par chaque niveau institutionnel à l’agriculture augmente avec le niveau de décentralisation : ainsi, les États consacrent à l’agriculture une part de leur budget plus importante que le niveau fédéral.

Les dépenses dans le secteur agricole sont extrêmement concentrées
Au niveau fédéral, sur les 179 postes de dépenses pour l’agriculture, 3 postes concentrent 81 % des financements. Ils sont destinés : (i) aux marchés d’approvisionnement et de distribution des engrais (43 %) ; (ii) au volet sécurité alimentaire du Programme national de sécurité alimentaire (NFSP) (22 %) ; (iii) à l’achat de céréales pour alimenter le stock national (16 %).
Les budgets sont souvent initialement mal évalués. Dans le cas de l’Initiative présidentielle, il est étonnant de constater que le budget alloué à chaque filière prioritaire est identique.
Les budgets d’investissement disponibles ne sont pas dépensés intégralement. Sur la période 2000-2008, le décaissement moyen du budget d’investissement agricole n’a été que de 62 % (et seulement de 24 % en 2007).

Le développement piloté par les communautés : un instrument durable de réduction de la pauvreté au Nigeria
Depuis 1985, le Fida innove au Nigeria dans la mise en place de programmes de développement utilisant l’approche de « Développement piloté par les communautés » (en anglais Community-Driven Development, CDD). Un projet pilote CDD a d’abord été mis en place dans les années 80 par le Fida dans les États de Sokoto et Katsina. Son succès a donné naissance au programme de développement agricole et rural en 2003, puis au programme de gestion des ressources naturelles en 2005, toujours basés sur les communautés et appuyés par le Fida. La même approche a été intégrée dans le programme de développement « racines et tubercules », qui a permis au Nigeria d’atteindre le premier rang mondial des producteurs de manioc.
La démarche CDD rompt avec l’approche traditionnelle « top-down » (descendante), qui n’a jamais réussi à avoir un impact durable sur les conditions de vie des bénéficiaires, pour une approche plus démocratique, de type « bottom-up » (ascendante) et inclusive. Elle donne le contrôle des décisions et des ressources aux véritables agents du changement dans les communautés rurales, à savoir les organisations traditionnelles, groupes de pairs ou de femmes, unions par produit agricole, etc. Cette approche leur permet de décider librement de leurs actions, et de prendre la responsabilité d’initiatives qui touchent leur vie. Le CDD a ainsi formé des communautés, non seulement à prioriser les infrastructures (approvisionnement en eau potable, installation de centres de santé, construction de routes et d’écoles), mais aussi à les réaliser de façon rentable, transparente et durable. Selon les bénéficiaires, ces programmes leur ont permis de trouver un emploi, de payer les frais de scolarité pour leurs enfants, mais aussi de se sentir utile au sein de leur communauté en participant à leur développement. Les administrations étatiques et locales ainsi que les communautés et villages bénéficiaires de l’approche ont exprimé la volonté d’élargir cette initiative à d’autres régions.
(Par Abdoul Wahab Barry, du Fonds international de développement agricole (Fida).

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