Au Tchad, l’association tchadienne des acteurs du développement rural (Atader) et l’association Afdi Poitou- Charentes travaillent en partenariat pour favoriser l’accès des petits producteurs à la traction animale et au tracteur, à travers la création de Groupements d’utilisation du matériel agricole en commun (Gumac).
Grain de sel : Quelles sont les activités du partenariat Atader – Afdi Poitou- Charentes au Tchad ?
M’Baïtelsem Betel Esaïe : L’Atader et Afdi Poitou-Charentes interviennent au Logone Oriental, une région productrice de sorgho, mais aussi de riz, de mil pénicillaire, de maïs, d’arachide et de coton, considérée comme le « grenier » du Tchad. Leur intervention porte sur la sécurité alimentaire, la formation et les visites-échanges entre organisations de producteurs, et le développement de la culture attelée, avec la formation de forgerons, la création d’ateliers de fabrication-réparation de matériels, et la création de Groupements d’utilisation du matériel agricole en commun (Gumac).
GDS : Pourquoi avoir créé des Gumac et comment s’organisent-ils ?
MBE : Les Gumac ont été créés pour répondre aux besoins des agriculteurs en matériel agricole de traction animale. Ce sont des petits groupes, souvent familiaux, qui se réunissent de façon informelle pour acheter des outils en commun : principalement la charrue, achetée 50 000 FCFA par des groupes de 4 personnes, et la charrette, achetée 280 000 FCFA par des groupes de 7 personnes. Chaque Gumac a son règlement intérieur pour l’utilisation du matériel. Certains ont rencontré des difficultés de gestion car lors des premières pluies, chacun voulait utiliser la charrue en premier. Maintenant une règle a été établie : un vote détermine l’ordre d’utilisation pour le labour. Une fois qu’ils ont fini dans leurs parcelles, ils peuvent ensuite louer la charrue, ce qui permet de la rentabiliser. Aujourd’hui, on compte 1 600 Gumac (groupes de 4 à 8 personnes).
GDS : Les Gumac ont-ils accès au crédit pour l’achat des équipements ?
MBE : De 1998 à 2000, Afdi a mis à disposition de la Société tchadienne d’équipement agricole pour le développement (Soteqad : l’atelier d’assemblage géré par les groupements de forgerons) un fond de roulement qui lui permettait de vendre du matériel à crédit aux Gumac. Les taux d’intérêt pratiqués étaient autour de 5% du montant total du crédit, pour une durée de 2 ans pour les charrues, 3 ans pour les charrettes.
Un contrat était signé entre la Soteqad, les acheteurs et le chef du village, témoin de la vente. Dans ce contrat était stipulé qu’en cas de non remboursement, le matériel serait retiré s’il était encore en bon état, sinon le problème serait réglé par les autorités compétentes.
Pendant cette période, au moins 300 charrettes et 500 charrues ont été vendues aux Gumac, et au moins 2 000 producteurs ont pu bénéficier de ces matériels. Mais il y a eu beaucoup d’impayés et l’opération a été stoppée.
Ensuite, entre 2001 et 2003, le projet Promotion des entreprises privées (Pep) de l’ONG américaine Volunteers in technical assistance (Vita) a octroyé des crédits d’équipement aux paysans. Cette initiative a permis l’accès à 50 charrettes et 120 charrues pour les Gumac. Mais le grand problème, c’était le taux d’intérêt qui était de 18% par an! Cela devenait exorbitant et n’a pas fonctionné longtemps.
GDS : Et aujourd’hui où en sont les Gumac ?
MBE : Depuis 2008, l’État subventionne les charrues à 30 000 FCFA au lieu de 50 000, et les charrettes à 250 000 FCFA au lieu de 280 000. Mais il faut payer comptant car depuis 2004, les Gumac n’ont plus accès au crédit ! Les Gumac continuent donc de fonctionner avec leur ancien matériel. Seulement 80 personnes ont acheté du matériel depuis 2004 car peu de producteurs ont les moyens de payer cash.
Mais des Gumac se créent toujours, même si elles n’ont pas accès aux crédits d’équipement, car cela permet aux membres de bénéficier de formations sur la mécanisation agricole mais aussi sur les itinéraires techniques des cultures. Les gens ont aussi l’espoir de pouvoir un jour bénéficier d’un crédit de charrue, car nous sommes en train de chercher de nouvelles possibilités pour l’accès au crédit.
GDS : Comment ces Gumac s’organisent- ils au niveau régional ?
MBE : Au niveau villageois les Gumac constituent des Unions de Gumac, qui se regroupent au niveau de la Fédération régionale. La fédération rassemble les demandes issues des unions (en crédit, charrues et charrettes) et sert d’intermédiaire. C’est elle aussi qui organise les formations. Les unions jouent le rôle d’interface entre la fédération et la base. Ce sont elles qui connaissent les besoins des Gumac qui les composent, elles assurent aussi le suivi des crédits octroyés et rendent des comptes à la fédération. Pour permettre à ces structures de fonctionner, chaque Gumac cotise 5 000 FCFA/an à son union et une part est reversée à la fédération.
GDS : Les Gumac s’intéressent-ils également à la motorisation ?
MBE : Dans les zones cotonnières, la motorisation n’est pas adaptée et on doit aider les producteurs à avoir un meilleur accès à la traction animale, mais nous avons aussi de grandes plaines rizicoles où il est possible d’envisager la motorisation. Pour le moment, ces plaines ne sont pas aménagées, et les Gumac souhaitent acquérir des équipements (tracteurs, charrues, cultivateurs) pour les mettre en culture.
Actuellement, la motorisation fait partie de la politique agricole de l’État, avec le programme Team 10. Le Tchad a ainsi reçu des tracteurs et une usine d’assemblage a été créée à N’Djamena. Jusqu’à ce jour malheureusement, les Gumac n’ont pas encore eu accès à ces tracteurs, mais nous sommes en négociation pour en obtenir.
L’association Afdi Poitou- Charentes intervient depuis 1990 dans la région du Logone oriental, au Tchad, et en partenariat depuis 2001 avec l’association tchadienne Atader, qui regroupe 4 fédérations professionnelles régionales : fédération des artisans (Faflor), des greniers communautaires (Komadji), des Gumac (Argumac) et des femmes (Atekor).