Le plus célèbre des oignons ouest africains, le Violet de Galmi, a été ces derniers mois au cœur de nombreux débats. Retour sur la longue histoire de cette variété et éclairages sur les enjeux actuels.
Début mars 2009, à la foire internationale sur les semences paysannes de Djimini (Sénégal), un membre du Réseau semences paysannes (France) révèle que l’oignon « Violet de Galmi » a fait l’objet d’une demande de certificat d’obtention végétale (COV) par une société sénégalaise (Tropicasem). Cette information fait rapidement le tour de l’Afrique de l’Ouest et soulève des condamnations unanimes : le pillage des ressources génétiques des paysans africains se poursuit. Un mois après, le Réseau national des Chambres d’agriculture du Niger organise les 2èmes journées nationales de l’oignon à Niamey. Le Niger est le premier exportateur d’oignon de l’Afrique de l’Ouest et « son » violet de Galmi a conquis les marchés des grandes capitales côtières.
Il était une fois le pays des oignons…
Arrivé en Afrique par les caravanes transsahariennes venant d’Egypte, l’oignon s’implante dans la région de Tahoua au Niger dès le 17ième siècle. Entourées de plateaux, les vallées de cette zone, en particulier celle de la Maggia, sont riches de leurs nappes phréatiques qui permettent l’irrigation en saison sèche, période de culture de l’oignon. Galmi est un gros village, en bordure de la vallée de la Maggia, à 500 km de Niamey sur la nationale 1 qui traverse le Niger d’Est en Ouest.
Le violet de Galmi n’aurait jamais dû s’appeler… « Galmi » mais plutôt oignon de l’Ader (du nom de sa région de production) ou de la Maggia (du nom de la vallée d’où sont issus les principaux écotypes ayant permis de créer la première sélection à laquelle il a été donné le nom de « Violet de Galmi »). Car si l’oignon est cultivé dans la région depuis plusieurs siècles, ce sont des agronomes de l’Institut de recherche en agronomie tropicale (Irat, organisme français) qui vont lancer en 1965 un programme de sélection variétale à partir de souches d’oignons de la vallée de la Maggia. En 1975 une première sélection est disponible et porte le nom de IRAT 1 et le nom commun de « Violet de Galmi ». 1975 sera aussi l’année de création de l’Institut national de recherche agronomique du Niger (Inran) et de l’arrêt des travaux de l’Irat. Le Niger venant de connaître une période sécheresse et de famine, le nouveau gouvernement demande aux chercheurs de l’Inran de se concentrer sur le mil et le sorgho pour assurer la sécurité alimentaire du pays ; le programme de sélection de l’oignon est arrêté faute de chercheurs. À cette époque il manque encore 4 ans pour finir le processus de sélection et arriver à une variété commercialisable. Les chercheurs de l’Irat poursuivent alors leurs travaux sur les souches d’oignon de la Maggia au Burkina Faso et au Sénégal.
Dans les années 80, certains chercheurs décident de créer une entreprise de production de semences en France (Technisem) qui sera suivie par une société « sœur » au Sénégal (Tropicasem). Ces sociétés continuent les travaux de sélection sur la souche « Violet de Galmi » issue des travaux de l’Irat au Niger et commercialisent des semences. La deuxième grande sécheresse aura également un rôle déterminant dans la vie du Violet de Galmi. Pour combattre la faible production des cultures pluviales, les pays sahéliens se mobilisent sur les cultures de contre saison avec des distributions de semences. C’est ainsi que le Violet de Galmi issu de Tropicasem / Technisem est disséminé dans tous les pays sahéliens. Dans les années 90, l’oignon du Niger gagne peu à peu des marchés. Le réseau des commerçants haoussa se met en place vers les grandes capitales de la côte. La dévaluation du franc CFA sera le tournant décisif : les prix des oignons importés de Hollande augmentent et les consommateurs urbains découvrent un oignon moins cher, au goût piquant, et adapté à la réalisation des sauces. Le violet de Galmi s’impose dans toute la sous région. Son succès est tel que du Sénégal au Niger on ne produit plus que du « Violet de Galmi ». Tel le stylobille qui a cédé sa place à l’appellation « bic », tous les oignons de couleur violet rouge sont vendus sous l’appellation Violet de Galmi, qu’ils soient produits à Koudougou au Burkina Faso ou à Korhogo en Côte d’Ivoire.
La demande de COV sur l’oignon de Galmi
En 2006, Tropicasem estime que ses travaux sont enfin récompensés et que la société dispose maintenant d’une variété « nouvelle, distincte, uniforme et stable ». Elle constate aussi que d’autres sociétés se mettent à commercialiser du Violet de Galmi qui n’a rien à voir avec la variété d’origine. Tropicasem prend contact avec l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) pour voir comment protéger les semences « Violet de Galmi » de ces impostures. C’est la formule du Certificat d’obtention végétale (COV) qui est retenue. La demande d’enregistrement est faite en 2006 suivant les procédures prévues et son acceptation parait dans le bulletin de l’OAPI de mars 2008. Ce bulletin est reçu au Niger par les services compétents du ministère du Commerce qui auraient adressé une lettre à l’Institut de Recherche pour l’informer. Il ne suscite pas de réaction du Niger. C’est à la même époque que le Catalogue ouest africain des espèces et variétés végétales (COAFEV) est élaboré à partir d’informations fournies par 17 pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et du Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS). Le Violet de Galmi y est présenté comme inscrit aux catalogues de 9 États membres, dont le Niger. Mais il n’y a toujours aucune réaction officielle à la publication par l’OAPI du certificat attribué pour la variété Violet de Galmi à Tropicasem. Tous ces événements se passent sans que les organisations de producteurs ne soient informées. Il faudra attendre mars 2009 pour que l’information suscite des réactions.
Il semble aujourd’hui évident que l’OAPI a commis une erreur en acceptant ce certificat ou du moins le nom de Violet de Galmi pour cette « nouvelle » variété de Tropicasem. En effet, le texte de l’OAPI (annexe X du protocole de Bangui) précise que la dénomination d’une nouvelle variété ne doit pas faire naître un risque de confusion, ne doit pas se référer à une dénomination qui désigne, sur le territoire de l’un des États membres, une variété préexistante de la même espèce ou d’une espèce voisine, à moins que la variété préexistante ait cessé d’être exploitée et que sa dénomination n’ait pas acquis de signification particulière. Or la confusion a bien eu lieu.
Il ressort des récentes journées nationales de l’oignon que les acteurs nigériens feront tout pour que l’OAPI et Tropicasem rectifient cette erreur de départ qui attribue à une société privée un nom appartenant au patrimoine nigérien. Le simple bon sens (notamment commercial) devrait amener Tropicasem à montrer sa bonne foi et sa bonne volonté sans aller jusqu’à des actions de justice.
D’autant plus que, toujours en 2008, l’Association nationale des coopératives et des professionnels de la filière oignon du Niger (Anfo), une organisation professionnelle regroupant des producteurs et des commerçants, dépose une demande de « marque » pour le nom « Violet de Galmi ». Et que cette demande avait été précédée de nombreux articles dans les journaux ouest africains sur la volonté du Niger de « labelliser » son oignon Violet de Galmi. Le dépôt d’une marque est d’ailleurs la formule déjà choisie par la Fédération des paysans du Fouta Djallon en République de Guinée pour sa pomme de terre « Belle de Guinée ».
Pour déposer une marque à l’OAPI le demandeur doit accompagner sa demande du paiement d’une taxe d’enregistrement d’un montant de 400.000 F.CFA. De plus, pour une marque collective le demandeur doit s’acquitter avant examen de sa demande d’un règlement 130.000 F.CFA. Cette dernière somme ne sera pas payée par l’Anfo, ce qui annulera simplement la demande. Tous ces faits ne font d’ailleurs pas réagir l’OAPI sur le bien fondé de l’acceptation de la demande de COV de Tropicasem.
Suite à ce premier échec, l’Anfo ne lâche pas prise et décide en 2009 de demander une indication géographique (IG) pour le Violet de Galmi, afin de rattacher qualité et réputation du Violet de Galmi au terroir de l’Ader. En effet, selon les producteurs, il n’y a pas de doute : l’oignon de l’Ader a quelque chose en plus et il semble prendre ses qualités dans son terroir d’origine. Les mêmes oignons semés dans d’autres régions du Niger n’auraient pas la même couleur ni le même goût. L’Anfo travaille sur les termes de référence d’une future IG « Violet de Galmi ». Cette option de différencier le vrai « Violet de Galmi » provenant du Niger ou de sa zone d’origine par une indication géographique n’est pas sans poser de nombreuses questions ; nous y reviendrons dans un prochain article.
Au final, le coup de tonnerre médiatique de la foire aux semences de Djimini aura été bénéfique pour mettre sur la table les problèmes de propriété intellectuelle en rapport avec les variétés. Il a également mis en exergue le manque d’informations et de dialogues entre acteurs, et la faible maîtrise des outils de protection et de différenciation des produits agricoles par les principaux concernés. Il appartient aux organisations de producteurs d’être vigilants sur ces questions dans le futur.
Certification d’obtention végétale : Titre de propriété, ce certificat confère au détenteur, durant 20 ou 25 ans, un droit exclusif sur l’exploitation de la variété protégée.
Marque : La marque de produits ou de services est un signe visible utilisé ou que l’on se propose d’utiliser pour distinguer les produits ou services d’une entreprise quelconque de ceux de ses concurrents. Elle peut être individuelle ou collective.
Indications géographiques : Un signe utilisé sur des produits qui ont une origine géographique spécifique et possèdent des qualités particulières ou une réputation liées à cette origine.