Entretien avec Assétou Founè Samaké, asamake@ml.refer.org, biologiste généticienne à l’Irpad, membre de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (Copagen Mali), membre du comité d’animation de la Copagen régionale. http://www.irpadafrique.org
Grain de sel : Alors que le Mali a longtemps semblé mobilisé contre une législation pour les OGM, voici qu’en novembre le parlement a adopté la loi sur la biosécurité au Mali. Comment expliquez-vous ce revirement, et pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la loi sur la biosécurité ?
Assétou Founè Samaké : La loi sur la biosécurité n’est rien d’autre qu’une autorisation pour permettre à tous ceux qui ont la technologie OGM dans le monde de faire des OGM au Mali. C’est la couverture juridique que le Mali offre aux multinationales. Le « revirement » que vous constatez s’explique par plusieurs facteurs. Avant tout, il faut rappeler que l’Assemblée nationale malienne qui a voté la loi sur la biosécurité venait d’être renouvelée. Or s’il est vrai qu’un réel travail de fond avait été mené avec les anciens députés (nous avions eu des échanges soutenus avec les députés, et fait un profond travail de sensibilisation et de formation), les nouveaux députés n’ont pas été informés et formés à temps. La configuration politique de l’Assemblée nationale a également changé. Il y avait auparavant au sein du parlement sortant une connaissance et une vision critique sur le sujet, ce qui lui a permis de prendre du recul face à la question. Une autre dimension de ce revirement provient du fait que les pro-OGM ont mené une stratégie très offensive, avec des appuis inattendus au niveau de la société civile.
Enfin, je rappellerai le contexte politique international. Nos États n’ont pas beaucoup de marges de manoeuvre. Un simple rappel, voilà trois ans de cela, quand notre président a tenu tête à la Banque mondiale en refusant de baisser les prix du coton négociés avec les producteurs il a eu bien du mal à résister, et l’année suivante, il s’est rangé… Sur les OGM c’est la même chose. Notre président avait voulu se donner du temps pour comprendre les enjeux, analyser, mais les élections ont précipité le vote de la loi sur la biosécurité.
GDS : Quels sont les principaux points de désaccord entre les défenseurs des OGM et leurs opposants au Mali ? Comment la Copagen met-elle en place son activité sur le plan national ?
AFS: La question primordiale est de savoir si nous souhaitons répondre en priorité à nos besoins ou aux exigences internationales. Les partisans des OGM refusent de se poser la question en ces termes, pourtant c’est bien de cela qu’il s’agit. On ne peut se contenter de regarder les OGM comme une technologie, il faut les prendre dans leur globalité, dans leur logique. La « logique OGM » c’est la privatisation, une technologie faite ailleurs, qui n’est pas à notre portée tandis que notre logique donne la priorité à nos propres ressources et à nos propres besoins. Il faut ainsi intégrer tous les enjeux, socioculturels (organisation du monde paysan, semences), politiques (nous avons une loi d’orientation agricole), institutionnels (situation de notre recherche).
Au niveau de la Copagen le point fort est la mutualisation de nos moyens. La Copagen compte des membres dans tous les pays de l’Uemoa plus la Guinée Conakry. Partout, nous mettons l’accent sur l’information et la formation, usant au maximum des langues nationales. Nous travaillons au maximum avec les organisations (ONG, associations, etc.) qui travaillent sur la même ligne que nous, développant ainsi une forme de « diplomatie non gouvernementale ». Nous faisons aussi un vrai travail de proximité. Le dialogue politique avec nos décideurs politiques et d’autres leaders fait aussi partie de nos stratégies d’intervention. Il est question de l’autonomie de nos États mêmes.
Notre organisation est la même sur les plans national et régional. Peuvent être membres les individus comme les structures qui ont la même pensée que nous et ont une action en matière d’agriculture, semences, brevets, droits de propriété. Il n’y a pas de cotisation à régler. Pour chaque activité, nous nous réunissons et voyons qui peut apporter quoi. Nous avons expressément tenu à ce qu’il n’y ait pas de président, pour échapper aux questions de leadership souvent problématiques en Afrique. Nous avons ainsi une organisation tournante que ce soit pour les activités ou les responsabilités. Nous recevons des appuis émanant de structures qui ont la même pensée que nous. Au Nord par exemple nous avons eu l’appui de SwissAid. La Suisse, où se trouve le siège de Syngenta, a signé un moratoire de dix ans prohibant l’usage des OGM… Dans la sous-région, une structure comme Inades formation, qui travaille depuis plus de 30 ans pour des agricultures durables, est aussi très impliquée.
Auteur : Anne Legile, Agence française de développement (AFD), legilea@afd.fr
Le Comité d’orientation et de suivi du Partenariat Union européenne-Afrique sur le coton a organisé, à Ouagadougou (Burkina Faso) du 16 au 18 septembre 2008, un séminaire sur le coton génétiquement modifié. Une rencontre qui a permis de traiter d’un problème complexe, porteur d’idéologies fortes.
Le Burkina Faso est le seul pays d’Afrique de l’Ouest à avoir expérimenté la culture de coton OGM en plein champ, à partir de variétés locales croisées avec une variété dans laquelle a été introduit le gène Bt. Cependant à ce jour, aucun résultat probant portant sur une surface conséquente n’a pu être présenté, les conditions climatiques de l’année 2007 s’étant révélées désastreuses. En 2008, 8500 ha auraient été semés à des fins de production semencière ; les rendements ne sont pas encore connus.
Les acteurs de la filière burkinabè souhaitent, grâce à l’utilisation de cette technologie, améliorer leur compétitivité vis-à-vis des pays qui ont déjà adopté le coton Bt (comme les États-Unis ou l’Inde).
Coton OGM : des intérêts constatés…
Les présentations de l’atelier ont montré un impact positif du coton Bt sur le rendement (mais avec de très fortes variations : de 0 à plus de 70% d’augmentation suivant les contextes) et la réduction de l’emploi des pesticides. Ce dernier aspect est très prisé des producteurs. En effet, outre la baisse des coûts engendrés, la diminution des traitements (de 6 à 2 au Burkina Faso), provoque surtout une moindre pénibilité du travail et des conséquences bénéfiques sur la santé humaine.
… mais des interrogations subsistent
Les questions qui demeurent et les conditions nécessaires à une valorisation maximale du coton OGM en Afrique ont elles aussi été discutées. Sur le plan technique, le coton Bt n’est pas une assurance rendement : la protéine n’est pas efficace contre tous les ravageurs du coton et elle ne s’exprimera correctement qu’avec une bonne fertilisation et en l’absence de stress hydrique. Par ailleurs, les effets négatifs tels que la résistance du prédateur principal ou la baisse de la biodiversité peuvent apparaître à moyen terme. En tout état de cause, l’utilisation du coton Bt est à raisonner comme un des outils parmi d’autres de protection du cotonnier contre les insectes. Elle ne doit pas conduire le producteur à baisser sa vigilance et à abandonner ses observations qui sont notamment à la base de la LEC (lutte étagée ciblée).
Davantage que sur les aspects techniques, la culture de coton Bt en Afrique interroge sur les plans économique, institutionnel et organisationnel.
Le coût de la semence est une donnée essentielle de la rentabilité de la culture. Au Burkina Faso, elle est actuellement vendue bien en deçà du prix de revient et les négociations avec Monsanto ne sont pas terminées.
Sur le plan institutionnel, la question de la souveraineté des pays et producteurs africains face aux firmes privées qui ont développé la technologie, a été posée. Le Burkina Faso a choisi un processus qui lui permet de rester propriétaire de la variété génétiquement modifiée (le gène appartenant à Monsanto). Toujours dans les questions qui ont été évoquées, celle des adaptations possibles des cultivars aux conditions locales de production et celle du choix possible pour les producteurs de planter du coton OGM ou non OGM…
Enfin, la question du contrôle et de la traçabilité sera certainement plus complexe à résoudre en Afrique qu’aux États-Unis. Il est impossible de détecter un coton Bt par une analyse de la fibre, seul le contrôle des semences et des mises en culture peuvent renseigner sur les surfaces OGM. En petite production paysanne africaine, il sera très difficile de parvenir à une fiabilité de 100% sur un tel suivi. De même comment gérer les zones refuges (pourcentage de surface consacré à des cultures non OGM afin d’éviter les phénomènes de résistance) ? Va-t-on imposer à certains producteurs dans les villages de ne pas faire de coton OGM (avec quel dédommagement ?) ?
Le risque serait que l’intérêt du coton Bt, observable à court terme, occulte les actions déjà menées (et à poursuivre) afin d’agir sur les autres leviers techniques, économiques et organisationnels de la compétitivité des filières coton africaines.
L’expérience burkinabè en matière de production de coton OGM sera dans tous les cas intéressante à suivre et à analyser.