Auteur : Alain Maragnani
La Tunisie s’est engagée dans un projet ambitieux de mise à niveau de son dispositif de formation professionnelle et de l’emploi (programme MANFORM). Il s’agit d’un programme de réforme du dispositif de formation professionnelle et technique, y compris dans le secteur de l’agriculture et la pêche, afin que celui-ci réponde aux besoins en qualification. Ce programme comprend certes des investissements (équipement, construction, réhabilitation des bâtiments…), mais surtout une rénovation fondamentale du dispositif de formation tant dans son volet ingénierie (ingénierie de la formation et ingénierie pédagogique), que dans ses procédures de fonctionnement (création de conseils de centres, dispositif d’appui, démarche qualité…) et dans son volet d’orientation et de pilotage (participation de la profession à toutes les phases du projet et partenariat avec des groupements professionnels français). Le programme MANFORM est en cours de réalisation avec l’appui de l’Agence Française de Développement et il est encore trop tôt pour que les partenaires du programme en aient fait l’évaluation. Toutefois, la manière dont ce programme se réalise est riche d’informations sur les démarches de rénovation d’un dispositif de formation professionnelle et technique agricole.
Une « mise à niveau » du dispositif de formation professionnelle en regard de quelle agriculture en Tunisie ? La contribution du secteur agricole dans le Produit Intérieur Brut de la Tunisie est d’environ 12% sur les vingt dernières années, avec un taux de croissance annuel moyen de près de 3% grâce à une augmentation de la productivité. La Tunisie a réalisé d’énormes progrès au cours des dernières décennies pour assurer son autosuffisance alimentaire dans les produits de base (pomme de terre, tomate, viande, lait). Le taux de couverture des produits agro-alimentaires, inférieur à 50% dans les années 1980, est quasiment de 100% ces dernières années (à l’exception des céréales qui constituent près de la moitié des importations agroalimentaires) alors même que les besoins alimentaires de la population ont fortement augmenté et se sont diversifiés (produits carnés et laitiers). Les principaux produits exportés sont l’huile d’olive, les produits de la mer et les dattes (1er producteur mondial) et sont destinés au marché européen pour l’essentiel. L’évolution des structures de production est marquée par une augmentation globale du nombre des exploitations agricoles due pour l’essentiel aux très petites exploitations (moins de 5 ha). Si le nombre et la superficie occupée par les grandes exploitations (+ de 100ha) diminue, les exploitations moyennes (5 à 50 ha) confortent leur place (en nombre et en surface). Autres caractéristiques importantes qui laissent à penser que les évolutions des structures de production pourraient être rapides à l’avenir : 43% des chefs d’exploitation ont plus de 60 ans et 40% des chefs d’exploitation travaillent à temps partiel. A souligner enfin que si seule une minorité de producteurs sont analphabètes (les très âgés), très peu de producteurs ont suivi une formation professionnelle agricole.
En regard des caractéristiques de l’agriculture tunisienne, quels premiers enseignement de ce programme de mise à niveau ? · Une formation professionnelle agricole replacée dans une vision globale du développement économique et social. L’évolution de la production agricole en Tunisie s’effectue dans le cadre d’un choix, celui de la transition d’une économie protégée vers une économie intégrée dans les échanges internationaux (adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce, entrée en vigueur de l’accord de libre échange avec l’Union Européenne, création d’une zone de libre-échange arabe). L’enjeu majeur au niveau agricole est donc d’améliorer la compétitivité des produits (qualité et prix), tant sur le marché intérieur que sur le marché international, alors même qu’il existe des facteurs limitant naturels (surfaces et ressources en eau notamment). Dans le cadre de ces orientations, le développement des ressources humaines, l’éducation et la formation professionnelle, la correspondance de la formation avec les besoins en qualifications, sont pris en compte comme des éléments importants de l’amélioration des gains de production et de revenus en agriculture, tout en assurant un développement durable. · Une politique nationale de formation professionnelle agricole. Replacée dans une vision globale du développement, la formation professionnelle a donné lieu à un ensemble de décisions qui ont intégré la formation professionnelle dans les politiques d’Etat : loi d’orientation de la formation professionnelle en 1993, décrets sur les établissements de formation professionnelle agricole en 96 et 98, mise en place du programme MANFORM, orientations des Plans de développement économique et social de la Tunisie… La formation professionnelle agricole est considérée comme un des outils d’une politique de développement économique et social du secteur, au même titre que l’accès au foncier, l’accès au crédit, la maîtrise de l’eau, le renforcement des structures interprofessionnelles…
· La construction de partenariats entre les services de l’Etat et les organisations professionnelles. Le programme MANFORM se construit et se réalise dans un partenariat étroit entre les différents services de l’Etat chargés de la formation professionnelle agricole (ministère de l’Agriculture, Secrétariat d’Etat à la Formation professionnelle, Agence de Vulgarisation et de la Formation Professionnelle Agricoles, Centre National de Formation de Formateurs et d’Ingénierie de Formation…) et les organisations professionnelles représentées au sein de l’Union Tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche (UTAP). Au cours du processus de réalisation du programme, l’UTAP a été partie prenante de la réflexion et a joué un rôle clef dans le diagnostic, les orientations comme dans sa mise en œuvre (audit du dispositif, rédaction du dossier de définition de projet, études d’opportunité, cahiers des charges, programmation…).
· La mise en œuvre d’une démarche d’ingénierie de formation. Dès la mise en œuvre du projet, les contenus de formation n’ont pas été élaborés en regard de contenus disciplinaires mais priorité a été donnée à l’analyse des activités professionnelles des producteurs des différentes filières de production avec élaboration de référentiels d’activité professionnelle (rédaction de « référentiels emploi »). Cette préoccupation d’une offre de formation adaptée aux situations réelles des emplois et des situations de travail s’est également concrétisée dans la volonté de développer des dispositifs de formation en alternance qui n’existaient pas jusqu’alors dans le secteur.
· Un partenariat international associé dans un cadre précis et contractuel. Pour faciliter la réalisation du programme, l’intervention de fédérations professionnelles françaises homologues a été sollicitée ainsi que des partenariats avec des établissements de formation professionnelle et technique dans des filières de production similaires. Ces relations sont concrétisées par la signature d’un protocole de partenariat entre l’UTAP et l’AMCIDA (Association Méditerranéenne de Coopération Internationale pour le Développement Agricole), ainsi que dans des conventions de jumelages entre établissements homologues apportant leur appui et leurs compétences dans la rénovation du dispositif de formation. Ces cinq éléments apparaissent particulièrement intéressants pour les réflexions conduites aujourd’hui sur les conditions du développement des dispositifs de formation professionnelle agricole. D’autres enseignements devraient être tirés de l’expérience tunisienne et il reviendra aux acteurs tunisiens, notamment lors de la prochaine conférence internationale du réseau FAR (Tunis, 19-23 mai 2008), de les analyser, par exemple : · quelles difficultés et quels rôles des différents acteurs dans la mise en œuvre d’une politique de formation professionnelle agricole ? · quelles difficultés rencontrées dans les démarches d’approche par les compétences dans le secteur agricole, notamment dans les activités complexes de chef d’exploitation ? · à quelles conditions assurer un partenariat actif des professionnels à la fois en termes de disponibilité mais aussi d’intervention dans certaines procédures techniques (ingénierie de la formation, génie civil, démarches administratives) ? · quelles actions d’accompagnement pour mettre en place un dispositif de formation professionnelle par alternance sur la base d’exploitations de taille modeste où les chefs d’exploitation n’ont pas eux même suivi une formation professionnelle ? · quels dispositifs de financement de la formation professionnelle ? Alain MARAGNANI, chargé de mission du réseau FAR Montpellier, 31 mars 2008 Ingénieur, ayant occupé différents postes au ministère de l’Agriculture dans le domaine de la formation professionnelle continue au sein de la direction générale de l’enseignement et de la recherche, notamment d’inspecteur de l’enseignement agricole, chargé de la mission de coopération internationale. Expériences professionnelles : · évaluation de la politique publique du ministère de l’Agriculture en matière de coopération internationale de l’enseignement agricole ; · missions de diagnostic et de formation dans le domaine de la formation professionnelle et technique agricole (Angola, Burkina-Faso, Cambodge, Côte d’Ivoire, Croatie, Tchad, Tunisie, Yémen…). · création des journées d’études « Ingénierie des dispositifs de formation à l’international », de la bibliothèque virtuelle d’Agropolis en ingénierie de la formation professionnelle et technique, et du réseau international « Formation Agricole et Rurale ».
Références : · Ezzedine Ben MUSTAPHA. « Implication de la profession tunisienne dans la rénovation du dispositif de formation professionnelle agricole ». Actes du colloque « Formation de masse en milieu rural – Eléments de réflexion pour la définition d’une politique nationale ». Ouagadougou, 30 mai-3 juin 2005. · Moncef Ben SAID. « La réforme de la formation professionnelle en Tunisie. Opportunités et défis ». Actes du colloque « Les réformes de l’enseignement technique et de la formation professionnelle dans l’économie de la connaissance ». Paris, 16-8 décembre 2003. · Zohra CHERCHERI. « La mise en œuvre de la reforme et le développement d’une démarche partenariale dans la formation professionnelle agricole ». Contribution à l’atelier de Yaoundé du réseau FAR. Mai 2007. · André GAURON. « Formation professionnelle et développement économique : bilan et perspectives pour une nouvelle étape ». 2008. · Alain WIEDMAIER. « Stratégie d’intervention de l’AFD dans le domaine de la formation professionnelle. Application à la Tunisie ». Agridoc n°3. 2002.