Le trentième Sommet ordinaire des Chefs d’État et de Gouvernement de la Cedeao réuni à Abuja en juin 2006 a mandaté la Commission de la Cedeao pour définir une approche commune de la région sur la migration. L’objectif ? Que les migrations soient, avant tout, facteur de développement et d’intégration régionale.
LES ÉTATS MEMBRES de la Cedeao se sont engagés dans un processus de constitution d’un espace économique régional. Ils ont adopté dès 1976 un protocole sur la libre circulation des personnes et le droit de résidence et d’établissement. Ce protocole, ainsi que les textes additionnels qui sont venus le compléter, témoignent de la volonté politique des États membres de placer la mobilité intrarégionale de la population au coeur du processus ouest africain d’intégration.
Le 30è Sommet ordinaire des Chefs d’État et de Gouvernement de la Cedeao réuni à Abuja en juin 2006, conscient des enjeux de la migration, a mandaté la Commission de la Cedeao pour définir une approche commune de la région sur la migration. Réuni à Ouagadougou le 20 décembre 2006, le Conseil de médiation et de sécurité de la Cedeao a réaffirmé cette priorité en demandant au président de la Commission de « poursuivre la réflexion en vue de la définition d’une approche commune sur la gestion de la migration intra régionale et vers l’Europe dans toutes ses dimensions ».
En exécution de ce mandat, la Commission de la Cedeao a initié un processus de réflexion en vue de la définition d’une approche commune sur la migration. Ce processus est d’autant plus motivé que les préoccupations de nombreux pays du Nord se font plus pressantes via les dernières grandes rencontres internationales. La position de la Cedeao s’exprime à travers le dialogue politique entre l’Union européenne et les pays ACP. La mobilité des personnes, il faut le rappeler, n’est pas soumise à l’image des flux de marchandises à une coordination internationale et les États, mêmes européens, conservent une grande partie de leurs prérogatives en la matière.
Grands enjeux pour la Cedeao. La réflexion menée actuellement par la Cedeao s’articule autour des enjeux suivants :
L’optimisation des bénéfices de la mobilité intrarégionale et la garantie de la libre circulation à l’intérieur de l’espace Cedeao. La mobilité à l’intérieur de l’espace Cedeao est une composante essentielle de la construction régionale. Par ailleurs, il existe une relation claire entre la fluidité de l’espace régional Cedeao et la pression migratoire vers le Nord. Plus l’espace régional ouest-africain sera fluide et réaménagé autour de pôles de développement, moins l’appel vers l’extérieur sera fort. L’instauration du passeport Cedeao permet de fait une circulation plus homogène des populations. Il faut de plus tenir compte du fait qu’en termes de circulation spatiale, l’espace Cedeao dépasse les frontières de ses États membres. Ainsi, liés par les Accords de l’OMVS ¹, les Mauritaniens sont libres de circuler au sein des pays de l’Organisation ; les Maliens n’ont pas besoin de visa pour entrer en Algérie et au Maroc tout comme les Sénégalais au Maroc.
L’ accompagnement de la mobilité et l’appui au développement local dans les zones de départ et dans d’autres zones d’accueil potentielles. Les pays membres de la Cedeao réaffirment le principe selon lequel les migrations internationales ont des effets positifs dans les pays d’accueil et d’origine lorsque les flux sont bien gérés. Ils rappellent que toutes les régions du monde ont eu, à un moment de leur histoire, recours à la migration dans le cadre de leur processus de développement, que la migration répond à des attentes réciproques.
L’optimisation de la migration légale vers des pays tiers, notamment en Europe, en Amérique du Nord, dans le reste de l’Afrique et du monde. Les États membres de la Cedeao souhaitent développer un processus de cohérence des politiques à deux niveaux : Conformément à l’article 84 du traité révisé, une mise en cohérence des accords bilatéraux liant les différents États membres et les pays tiers, avec les textes et protocoles communautaires ; une mise en cohérence des politiques économiques, commerciales et d’aide au développement du Nord avec les politiques migratoires de ces mêmes pays.
La limitation des migrations irrégulières. Les pays membres de la Cedeao réaffirment leur volonté de lutter contre toute forme d’organisation, au Nord comme au Sud, favorisant le recrutement, le transport et l’exploitation de migrants illégaux.
La protection des droits des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés et la prise en compte de la dimension genre constituent les deux derniers enjeux de ce processus. Un processus qui semble s’orienter vers une mise en avant plus concrète des liens directs entre les problématiques « développement » et « migrations » et sur la cohérence entre ces deux dernières tout en intégrant les préoccupations sur les migrations irrégulières. La priorité absolue donnée à la mobilité intrarégionale traduit bien le fait que la plupart des flux de population sont intrarégionaux. Une réflexion sur les espaces transfrontaliers et les enjeux de la libre circulation ne peut que contribuer à la construction d’un véritable espace régional. C’est pour appréhender ces questions que la Cedeao a regroupé les thématiques frontières et migrations sous une direction unique, celle de la libre circulation des personnes. Cette démarche constitue également un appel au dialogue constructif vers les pays du Nord en réponse au processus à long terme de recomposition du peuplement.
Entretien avec Jean de Dieu Somda, Vice-président, Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao)
Grain de sel : Quelle est la politique de la Cedeao en matière de migrations ? Jean de Dieu Somda : Les migrations en Afrique de l’Ouest se déroulent dans des sous-espaces régionaux assez différenciés qui s’appuient principalement sur les pôles d’attraction que constituent les pays côtiers agroexportateurs (Nigeria, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin,) et les pôles de départ que sont les pays sahéliens (Niger, Burkina Faso, Mali). Ces migrations ont donné lieu à un brassage ethnique et culturel. Elles constituent un atout pour l’intégration régionale, en ce sens qu’elles obligent à redéfinir de nouvelles citoyennetés transnationales. J’ajouterai à cela que les migrations sont une réalité historique au sein de l’espace Cedeao, où elles sont avant tout intrarégionales. Plus de 95 % des migrants se déplacent à l’intérieur de l’espace Cedeao (+ la Mauritanie). Ka Moussa a fait le pèlerinage de la Mecque à pieds en traversant la zone sahélo-saharienne de Nouadhibou à Djibouti sans visa ni passeport. Le grand commerce entre Nord et Sud et Est et l’Ouest en Afrique a existé de très longue date. Les migrations sont importantes pour les relations entre les États. C’est notamment pour cela que la Cedeao reconnaît la libre circulation des biens et des personnes et le droit d’établissement en son sein depuis mai 1975. Le passeport de la Cedeao ², créé en 1985, permet aux ressortissants des quinze pays membres de circuler sans visa d’un pays à l’autre. Il est unique en Afrique, la Cedeao étant le seul espace de cette taille à permettre la libre circulation. Parallèlement a été instaurée la carte brune pour les transporteurs, qui permet à ces derniers de n’assurer leurs marchandises que dans leur pays de départ, l’assurance étant par la suite valable dans tous les pays de circulation. Nous avons en projet la mise en place d’un passeport unique Cedeao. La demande a été déposée aux Nations unies, et le projet devrait aboutir d’ici 2-3 ans.
GDS : Quel est le rôle de la direction de la libre circulation nouvellement créée ? JDS : La direction de la libre circulation a été mise en place avec la création de la Commission de la Cedeao en février dernier. Elle a deux objectifs principaux : – veiller à l’application réelle de la libre circulation sur le terrain. Pour cela, elle mènera des campagnes d’information, veillera à mettre fin aux barrière non officielles qui organisent le racket des populations, et organisera des comités de soutien nationaux à la libre circulation, dans lesquels la société civile est représentée ; – sensibiliser et encourager les États à mettre en place la libre circulation. Cette tâche n’est pas facile, dans des pays où les gens sont mal payés. Nous allons mettre en place des procédures visant à encourager les gens, tous les trois mois, les meilleurs douaniers seront distingués comme agents exemplaires, et recevront des primes conséquentes (500 US), au cours de cérémonies officielles. Un budget a été dégagé afin d’équiper la Direction en moyens logistiques — ordinateurs, téléphones portables, etc. Tout est fait pour qu’existe une administration de proximité efficace et respectée.
GDS : Quels sont les impacts des migrations sur le développement rural ? JDS : Ces impacts sont doublement positifs. Les transferts d’argent des migrants sont une ressource considérable pour les États les plus pauvres. Mais également un lien plus fort entre les populations de divers États permet un réel renforcement de l’intégration régionale. Pour cela, la Cedeao est attachée au concept d’ « État frontières ». Nous souhaitons créer des bassins de développement sur des zones frontalières entre pays qui sont des aires d’échanges économiques et commerciaux attractives pour les migrants structurées autour des villes situées le long des frontières particulièrement peuplées et dynamiques. Par exemple entre le Mali, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, entre le Niger et le Nigeria, entre le Niger le Burkina Faso et le Bénin. Des entités homogènes sont en place, qui pré-existent à des frontières imposées par l’Europe en 1815… Pour soutenir cette dynamique des populations frontalières, la Cedeao s’est dotée d’un « Programme d’initiatives transfrontalières » et d’une « Convention de coopération transfrontalière ». L’objectif est de donner à ces zones une autonomie de gestion en matière économique. Cinquante projets sont en place, impliquant chacun un minimum de deux pays. L’idée est que les populations retrouvent leur homogénéité naturelle pour qu’elles soient plus dynamiques, plus créatives. En gérant bien ces mouvements, il est possible de refonder l’Afrique dynamique d’avant l’esclavage et la colonisation. Car la nature nous a gâtés, nous avons tous les climats, d’innombrables richesses naturelles, une population jeune et dynamique. Nous voulons maîtriser notre migration, pour en faire un instrument politique de développement.