François Doligez et Dominique Gentil réagissent à la publication, dans GDS 38 (mars-mai 2007), d’un article de Solène Morvant-Roux intitulé « Microfinance et réduction de la pauvreté : la fin d’un mythe ? ». Participez à ce débat sur les impacts de la microfinance : envoyez-nous vos réactions, commentaires, articles : gds@inter-reseaux.org
Critiquer les modes, les pensées dominantes et les illusions est toujours une entreprise salutaire. Solène Morvant-Roux a tout à fait raison de montrer que la microfinance ne résout pas à elle seule les problèmes de pauvreté et d’inégalités, que tout le monde ne peut devenir un « entrepreneur », que l’auto-emploi n’est pas la solution miracle. La microfinance, fille du « capitalisme bienveillant » ne propose donc pas à elle seule une alternative d’envergure.
Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? L’envie peut être tentante face aux discours simplificateurs de personnalités médiatiques ou aux dérapages constatés sur certains terrains comme le sud de l’Inde, mais aussi dans des milieux urbains aussi diff érents que La Paz en Bolivie ou Cotonou au Bénin. Mais si environ 100 millions de familles de par le monde peuvent avoir accès à des services fi nanciers de qualité, d’épargne, de crédit ou d’assurance, ce n’est quand même pas négligeable. Et cette possibilité d’accès est un facteur qui réduit les inégalités entre ceux qui peuvent utiliser seulement les services coûteux ou risqués du secteur endogène (usuriers, banquiers ambulants, etc.) et ceux qui ont accès aux banques.
Le crédit, gage d’autonomie… et de solidarité ? L’impact au cœur du débat.
Les études d’impact ne sont plus à la mode et on préfère maintenant se limiter au « marketing bancaire ». La fongibilité des ressources crée des problèmes méthodologiques importants pour mesurer les effets directs ou indirects imputables au crédit. Cependant, il existe, dans de nombreuses situations, suffisamment de données convergentes pour en établir les principaux résultats. La microfinance ne contribue pas seulement à une « meilleure gestion de la liquidité » ou à « garantir au mieux la continuité de l’activité ». Elle sert le plus souvent à la développer, à en créer parfois de nouvelles et à amorcer des processus d’accumulation et surtout d’amélioration des conditions de vie.
Des études relativement anciennes (fin 90’s – début 2000), menées sur des échantillons importants, montraient des résultats significatifs en milieu rural africain. Parmi les activités économiques, en général, le crédit a un effet important sur la production agricole surtout dans un sens d’extensification. Quand le foncier n’est pas saturé, l’accès au crédit permet pratiquement de doubler les surfaces par utilisation de main d’oeuvre additionnelle.
Dans certains cas cela permet d’améliorer l’intensification notamment en zone périurbaine et pour des cultures de maraîchage. Le rapport avec l’intensification est beaucoup plus fort dans les zones cotonnières où, quand les prix demeurent incitatifs, existe un système technique consolidé.
Le crédit a un rôle important dans l’élevage, notamment au Burkina Faso, au Niger, et peut induire des eff ets importants sur les systèmes d’embouche. Les enquêtes peuvent également mettre en évidence un effet sur la transformation et l’artisanat ; par exemple, au Bénin, l’activité la plus rentable était de produire du sodabi, du vin de palme transformé en alcool, qui présente une forte rentabilité.
Sur les circuits de commercialisation, le financement permet d’augmenter les fonds de roulement et peut engendrer des effets structurants comme l’élargissement du champ d’activités des réseaux commerciaux, la diversifi cation des activités commerciales ou un meilleur stockage, etc.
Que font les utilisateurs de crédit de ces produits ? Les excédents que dégage une majorité d’emprunteurs vont en priorité à l’amélioration des conditions de vie, de la nourriture, des frais de santé, de l’habitat. Dans les enquêtes, ce qui apparaît souvent, c’est la limitation des dépendances vis-à-vis des usuriers, des crédits fournisseurs et des prêts, même s’ils sont gratuits, des parents et amis. La revendication d’autonomie est très forte, mais l’accès au crédit peut aussi renforcer les solidarités en alimentant les « tiroirs sociaux ».
Les résultats en termes de rapports de genre peuvent être très contrastés, notamment sur le problème de l’accumulation. Selon les situations, le fait que la femme ait du crédit peut être considéré par l’homme comme quelque chose qui améliore la situation de la famille et qui lui permet de se dégager de ses obligations traditionnelles notamment de nourriture ou d’autres dépenses ; dans d’autres situations, l’homme respecte la répartition budgétaire et la femme peut être parfaitement autonome dans l’utilisation de ses excédents et participe à des systèmes d’accumulation beaucoup plus rapide que ne peuvent le faire les hommes.
Analyser plus finement, pour mieux mesurer l’impact.
Outre ces effets directs de la microfinance, existent également des effets indirects notamment sur les pratiques financières endogènes. Pratiquement, on peut observer des situations où les taux des usuriers diminuent de moitié (de 10 à 5% par mois par exemple). Mais on peut mettre en évidence aussi des situations où le financement de la main d’oeuvre augmente et où les circuits de commercialisation s’améliorent, avec de moins en moins de villages isolés. Dans des enquêtes d’anthropologues guinéens, on parle de « deuxième distribution » du crédit : les ruraux n’ont pas un accès direct au crédit mais en ont les avantages indirects par l’accès à des travaux rémunérés.
Certes la microfinance n’est pas la solution suffisante au financement de l’agriculture comme le soulignent avec raison les organisations paysannes, mais ses effets sur la production agricole ne sont pas négligeables (augmentation des surfaces, utilisation d’intrants, achat de main d’oeuvre, engraissement de porcelets, chèvres ou moutons). Ils sont encore plus importants sur la transformation et la commercialisation des produits agricoles. Comme les emprunteurs ont le libre choix des objets de crédit, ceci souligne le fait que la production agricole proprement dite a une rentabilité faible et risquée et que les producteurs préfèrent emprunter pour des opérations plus rentables, quitte à autofinancer certains investissements agricoles grâce aux bénéfices obtenus dans la transformation/commercialisation. Parmi les nouveaux acteurs du secteur, on oublie facilement que de nombreuses organisations de producteurs et d’associations s’efforcent de développer également des services financiers pour améliorer la situation de leurs membres et de leurs familles.
Les situations et les acteurs de la microfinance évoluent et les contrastes observés dans les études de cas ne font que rappeler que le crédit est un instrument aux résultats ambivalents, à l’image de la monnaie pour reprendre les analyses des économistes. Encore faut-il se donner les moyens de les analyser dans leur globalité et, compte tenu de la diversité et de la complexité des effets, il semble peu aisé de mobiliser des analyses uniquement quantitatives pour approfondir la réflexion. Probablement l’enjeu de l’impact de la microfinance reste l’affaire de tous ses acteurs, depuis les institutions qui affinent leurs outils de pilotage des performances sociales (cf. « initiative SPI – Social Performance Indicators Initiative » par exemple, http://www.cerise-microfinance.org) jusqu’aux politiques publiques qui doivent réguler le secteur et son développement.