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publié dans Autres publications le 26 mars 2012

Tiviski : une entreprise de valorisation du lait local en Mauritanie

Fanny Grandval

Agroalimentaire - AgroindustrieLaitMauritanieAnalyse, synthèse

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La note jointe rend compte d’une interview conduite par Inter-réseaux auprès de la Directrice Administrative et Financière de l’Entreprise Tiviski en Mauritanie.

Télécharger la note en PDF: http://www.inter-reseaux.org/IMG/pdf/Note_Tiviski_final.pdf

Entretien réalisé avec : Maryam Mint Abeiderrahmane
Directrice Administrative et Financier
Mob. : +222 36 69 19 01
Email: maryam@tiviski.com
Tél. : +222 529 20 53
BP 2069 Nouakchott
Site Web: http://www.tiviski.com

1-Retour sur l’historique de création de l’entreprise

Créée en 1989, l’Entreprise Tiviski a installé sa première mini-laiterie à Nouakchott, et elle ne traitait initialement que du lait de chamelle. Le démarrage de l’entreprise n’a pas été facile compte tenu du poids des traditions qui prédominaient à l’époque concernant la vente du lait. En effet, en ces temps il n’était pas envisageable de vendre le lait, cela était mal vu, source de mauvais présage, etc.
Le lait ne devait être que autoconsommé ou donné. Mais petit à petit, certains ont franchi le pas de le vendre à Tiviski (au début de façon « anonyme ») et, constatant la valeur de ce produit et l’amélioration des revenus qui en découlaient, d’autres se sont également lancé dans cette activité économique, venant ainsi élargir les rangs des fournisseurs de l’entreprise.
En 1990, l’Entreprise a élargi sa palette de laits collectés l’ouvrant au lait de vache, et progressivement au lait de chèvre (1998).

2-Tiviski aujourd’hui

Aujourd’hui, Tiviski embauche 200 salariés dans le pays et a un chiffre d’affaire de 3Meuros Elle offre une opportunité de commercialisation du lait à environ 1000 familles mauritaniennes et leur permet d’assurer un revenu régulier toute l’année.

Equipement – Aujourd’hui, l’usine est équipée d’équipements modernes en acier inoxydable pour la pasteurisation en continu, et conditionne le lait en cartons ‘gable-top’. L’équipement a été acquis à crédit (2 millions d’€ de crédit complétés par un apport de 1 million d’€) et le remboursement est à ce jour effectué. Tiviski commercialise une partie de son lait de vache sous la franchise « candia ».

Qualité – La qualité des produits de Tiviski est contrôlée dans son propre laboratoire et conformément aux normes européennes en vigueur, même s’il n’existe pas encore au niveau national de norme sur la qualité du lait et des produits laitiers (le processus de rédaction de ces normes est actuellement en cours par un groupe d’acteurs rassemblant éleveurs, privés et association de consommateurs, etc.)

Parole d’acteur : « Le business est fondamental » – Une entreprise telle que Tiviski ne peut être performante que si elle est portée par l’approche « business ». L’activité économique bénéficie aux éleveurs qui vendent leur lait et tout le monde doit y trouver un revenu convenable pour que l’opération soit un succès. Une entreprise n’est pas une ONG ou une œuvre de bienfaisance ; pour être efficace et durable, elle doit être rentable et bénéfique pour l’ensemble de la chaîne de production.

3-Le système de collecte développé par Tiviski : ancré sur un service de crédit intrants

Tiviski a 3 centres de collecte dans le pays :

  • un à Nouakchott (qui ne collecte pas le lait « urbain » mais seulement dans un rayon d’entre 30 et 70 Km de distance de Nouakchott) qui ne collecte que du lait de chamelle
  • un à Rosso et un à Bogué qui font la collecte du lait de chamelle, vache et chèvre

À la demande des éleveurs qui avaient des difficultés à accéder aux intrants d’élevage (aliments de bétail et produits vétérinaires), Tiviski a mis en place un dispositif de fourniture d’intrants à crédit aux éleveurs fournissant régulièrement leur lait.

Le processus d’achat du lait par Tiviski : un paiement en « bons Tiviski ». A la livraison du lait par l’éleveur, le lait est gouté pour en vérifier la qualité puis pesé. A la pesée, un bon est émis (le bon « Tiviski », véritable monnaie d’échange crédible et d’importante notoriété dans les zones géographiques couvertes par la collecte de Tiviski) qui a la valeur monétaire du lait livré. Ce bon peut soit être utilisé par le fournisseur pour ses achats auprès des boutiquiers (qui se font de leur côté rembourser l’équivalent monétaire par Tiviski), soit être changé par le fournisseur contre du cash auprès de Tiviski

Un dispositif de quotas est mis en place pour l’octroi de crédits intrants : Afin d’éviter que l’éleveur ne s’endette en achetant à crédit une trop grande quantité d’aliment bétail, Tiviski a instauré un système de quota (le montant des crédits intrants octroyés dépend des quantités de lait livrées). Ainsi, Tiviski a mis en place une liste de fournisseurs avec des quotas pour chacun, correspondant à ce qu’ils peuvent emprunter pour préfinancer leurs aliments chez un vendeur d’aliment agréés ou dans leur centre de collecte à Boghé. Suivant cette liste, lorsqu’un fournisseur veut prendre de l’aliment, Tiviski émet un bon d’emprunt que le fournisseur signe. A la fin du mois Tiviski déduit le montant de ces bons du compte de chaque fournisseur afin qu’il se fasse payer le reliquat. La majorité des transactions financières se font en cash, sauf si quelqu’un préfère recevoir la somme sur son compte bancaire et qui nous en fait la demande.

4-Les relations entre Tiviski et les organisations/associations d’éleveurs locales

4.1 Historique des relations entre Tiviski et les éleveurs

Au début des années 2000, la gérante de Tiviski avait fortement incité les éleveurs à s’organiser notamment en se regroupant en association. Au départ, ce conseil n’ayant pas été suivi par les éleveurs, Tiviski décida de mettre en place une association (l’APLT) à laquelle cotisaient les éleveurs a raison de 1 UM par litre et Tiviski investissait le double de ce montant (soit 2 UM par Litre) afin de pouvoir recruter des vétérinaires chargés de l’encadrement des éleveurs sur le terrain : fourniture à crédit d’aliments et de soins vétérinaires, appui à l’amélioration de la rentabilité de leur élevage et de la qualité du lait.
Cette association (APLT) a bien fonctionné pendant plusieurs années notamment grâce à un appui technique de VSF Belgique, puis suite à différents désaccords entre l’Association, Tiviski et les fournisseurs d’intrants animaux, l’Association a cessé de fonctionner. C’est ainsi qu’est née l’Association des producteurs de Lait et Viande du Brakna (APLV) en 2006 et qui entretien des relations régulières avec Tiviski.

4.2 Aujourd’hui, appui à l’organisation via le transfert de la gestion du crédit

Dans un souci d’aider l’APLV du Brakna à s’organiser et se structurer, Tiviski leur a délégué la gestion du crédit intrants. L’APLV est composée de groupes solidaires qui sont en charge de la gestion du crédit. Les étapes sont les suivantes :

  • Chaque mois, les GS font un état des demandes des membres du GS et le bureau de l’association examine les demandes. Les quotas d’aliments bétail sont fonction de la capacité de livraison de lait.
  • Puis l’éleveur se rend à son GS et retire les bons d’enlèvement d’aliment bétail correspondant au quota assigné ; ces bons sont cosignés par le représentant du GS et l’éleveur bénéficiaire.
  • A la fin du mois, l’APLV envoie à Tiviski la liste des montants correspondants aux bons empruntés par chaque fournisseur, montants à déduire des comptes des fournisseurs, et Tiviski reverse cette somme à l’APLV.

5-Le process de traitement du lait : de la livraison aux zones de collecte à la transformation

A l’arrivé au centre de collecte, le lait est donc gouté et pesé, puis trié (par catégorie de lait), filtré et refroidi afin de stopper le développement des germes. Chaque jour ou tous les 2 jours (en fonction des quantités livrées), un camion citerne livre le lait au centre de Nouakchott où la qualité est vérifiée.
Concernant le lait de vache, il est écrémé pour produire de la crème fraîche et du beurre. Deux types de lait sont produits : du lait pasteurisé (depuis l’origine) et aussi, depuis plus récemment, du lait UHT grâce à la construction d’une nouvelle usine. Cela permet de répondre au problème de conservation du lait produit qui, après transformation UHT, peut se conserver 8 mois (contre 1 semaine pour le lait pasteurisé)
Parmi les autres produits transformés, Tiviski produit des yaourts, du lait caillé et du fromage de chamelle, produit de niche car cher à produire et davantage destiné à un marché d’export du fait des habitudes alimentaires locales peu tournées vers la consommation de fromage. A ce jour, l’export de ce fromage n’est pas encore possible vers l’UE du fait de l’absence de laboratoire indépendant permettant de garantir le respect des normes UE pour sa fabrication. Jusqu’à récemment, le lait de chamelle n’était même pas répertorié dans la liste des produits homologués par l’UE. Aujourd’hui, à force de lobbying et de travail de recherche, cela est fait mais d’autres étapes restent à franchir dans les négociations.

6-Enjeux pour la filière lait et Perspectives de développement de l’industrie laitière en Mauritanie

La filière lait, une filière clé en Mauritanie
Le développement de la filière lait en Mauritanie, notamment via l’industrialisation de l’aval de la production laitière, met en lumière de nombreux leviers de développement :

  • Enjeux de réduction de la pauvreté de nombreuses familles mauritaniennes, en particulier les femmes. L’offre de débouchés stables par l’entreprise Tiviski, pour près d’un millier de familles, a permis une amélioration certaine du niveau de vie de nombreuses familles vivant en milieu rural.
  • Enjeux de développement économique du pays via une perspective d’atteinte de l’autosuffisance nationale en lait et produits laitiers. La Mauritanie, pays d’élevage, dispose d’une forte capacité de production laitière dont l’expansion est aujourd’hui limitée par la concurrence de la production locale par le lait importé.
  • Enjeux nutritionnel et concernant la qualité des produits. Le lait local mauritanien est reconnu pour sa bonne qualité nutritionnelles et nutritive d’une part, et sa très bonne adaptation aux prédispositions des consommateurs locaux. La principale contrainte aujourd’hui concernant l’appréciation du lait local par les mauritaniens réside dans le fait qu’ils ont trop longtemps été habitués au goût du lait importé (notamment le « lait rose » importé d’Allemagne qui est le plus apprécié par les populations). Il convient donc de faire la promotion de ce lait local afin d’impulser des changements de comportements.

Les principaux freins au développement de l’entreprise Tiviski

  • Concurrence du lait importé et absence de protection du marché du lait local. La forte concurrence du lait importé induite par le manque de protection du marché local pénalise la production locale. Tiviski doit réduire sa production en période d’hivernage car la consommation locale chute et les importations de lait sont maintenues. A la concurrence du lait importé (il existe actuellement 14 marques différentes de lait importé vendues sur le marché local), s’ajoute le non respect des DLC sur le lait UHT. De 3 mois dans leurs pays d’origine, elles passent à 12 mois une fois en Afrique, ce qui concurrence davantage le lait UHT produit localement (pour information, le lait UHT Tiviski a une DLC de 8 mois).
  • Une rentabilité productive en sous capacité. L’équilibre économique de l’entreprise Tiviski est menacé par le fait que sa capacité productive est sous valorisée aujourd’hui. Cette sous capacité productive limite la rentabilité de l’entreprise et son potentiel effet de levier économique pour les éleveurs/producteurs de lait : (i) l’usine de production de lait pasteurisé tourne au maximum à 40% de sa capacité de production, (ii) l’usine de production de lait UHT tourne au maximum à 25% de sa capacité de production.
  • Les prix fluctuant des aliments bétails pèsent sur les revenus des éleveurs et aussi sur la rentabilité de l’entreprise. La forte volatilité des prix due aux crises céréalières au niveau international pèse régulièrement sur les prix à l’achat de l’aliment bétail qui est aujourd’hui entièrement importé. Si Tiviski a une politique de stabilisation du prix de vente de cet aliment bétail (les aliments bétail sont vendus à prix coûtant aux éleveurs – moyennant le prix du transport vers les zones d’élevage), elle ne peut pas durablement absorber cette variabilité, et l’impact est fort in fine sur le revenu des éleveurs.
  • Les contraintes techniques de l’Entreprise. Le matériel et les équipements acquis pour la création de l’usine peuvent ponctuellement rencontrer des défaillances techniques et le plus souvent les pièces de rechange viennent d’ailleurs et les techniciens compétents sont à mobiliser. Cela induit des retards et difficultés dans la production qui peuvent pénaliser l’entreprise

Des pistes d’actions qu’il conviendrait d’entreprendre

  • Développer une production locale d’aliments bétail. Aujourd’hui l’aliment bétail est entièrement importé. Or il existerait des potentialités de développer une production locale. Selon Maryam Abeiderrahmane, il existerait une vallée avec un fort potentiel pour la culture de plantes oléagineuses pour la production d’huile et de tourteaux, mais à ce jour ce potentiel demeure inexploité.
  • Construire un plaidoyer, en concertation avec d’autres acteurs de la filière, pour inciter l’Etat mauritanien à protéger son marché local des importations de lait et ainsi promouvoir le développement économique de la filière lait. Au-delà des producteurs de lait, les Organisations de la société civile et les associations de consommateurs pourraient être impliquées dans cette démarche.
  • manque de mentalité de valorisation des produits locaux, la Mauritanie est historiquement un pays de commerçants (traditionnellement depuis le 7ème siècle) et l’achat-vente est le leitmotiv d’une grande majorité.
  • La conquête du marché et l’adaptation des produits aux goûts des consommateurs

D’autres documents sur Tiviski :

Une laiterie UHT en Mauritanie : TIVISKI
A. Wibaux, N. Ngongo, H. Méhalebi, C. Carriere, N. Garet, 2002, 31 p.
Considérée comme l’un des piliers dans l’industrie laitière en Mauritanie, Tiviski a su se faire une place dans l’économie du pays. Son développement a été accompagnée par l’engouement des mauritaniens par rapport à la consommation du lait. Ce document s’intéresse à l’apport technologique de la société française de lait (Candia) pour Tiviski. Vous y trouverez des analyses relatives au secteur agricole et pastoral, au processus d’exportation vers les pays demandeurs et un ensemble d’informations sur le transfert technologique entre Candia et Tiviski.
http://www.inter-reseaux.org/IMG/doc_tiviski.doc

Donner de la valeur ajoutée à la diversité du bétail – Commercialiser pour promouvoir les races locales et améliorer les moyens d’existence
LPP, LIFE Network, IUCN–WISP et FAO ; 2011. Études FAO

Le document complet (187 pages) : http://www.fao.org/docrep/014/i1283f/i1283f.pdf

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