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publié dans Autres publications le 14 mars 2013

Entretien avec Faliry Boly, secrétaire général du SEXAGON (Mali) : « Laissons les acteurs se structurer par eux-mêmes »

Inter-réseaux

Filières agricolesOrganisations de producteurs et de productricesMaliEntretien

Dans cet entretien, Faliry Boly revient sur les chantiers actuels du ROPPA concernant le « volet économique », notamment sur la filière riz. Il ne manque pas au passage de dénoncer les effets de certains projets extérieurs qui viennent perturber et déstructurer des dynamiques locales.

Faliry Boly est le secrétaire général du Syndicat des exploitations agricoles de l’Office du Niger (Sexagon), le président de la Plateforme nationale des producteurs de riz du Mali et le vice président du Cadre de concertation des organisations des riziculteurs des pays de l’Afrique de l’Ouest

Inter-réseaux : Vous venez de participer à deux jours d’atelier d’information sur les programmes et initiatives ECOWAP/PDDAA visant à accélérer la mise en œuvre des actions au niveau régional. Qu’en retenez-vous ?
Faliry Boly :
Cet atelier était très riche en informations. J’ai l’impression que les choses tardent néanmoins à se mettre en place. D’une certaine façon, ce n’est pas plus mal, car cela nous laisse du temps pour nous préparer, afin de faire valoir nos préoccupations et d’aider les décideurs à prendre les bonnes décisions, dans le sens d’une vraie dynamique pour le développement de l’agriculture familiale en Afrique de l’Ouest.

IR : Le ROPPA s’est longtemps battu pour avoir une protection suffisante sur le riz au niveau du Tarif extérieur commun (TEC). Récemment à Abidjan, il a été décidé de placer le riz dans la bande tarifaire à 10%, non dans la 5ième bande à 35%. Comment expliquer cet échec ? Le combat pour la protection régionale du riz est-il perdu ?
FB :
Je ne pense que pas que le combat soit perdu. Il est vrai qu’à un certain moment le ROPPA a connu un passage à vide ; il est en pleine restructuration. Aujourd’hui le ROPPA dispose d’un cadre régional des riziculteurs, qui est en quelque sorte sa branche spécialisée sur le riz, et qui bénéficie de l’appui d’Africa Rice. Je pense donc que ce dossier TEC sera remis sur la table, car ce sont des accords et des conventions qui évoluent régulièrement. En conséquence, nous pouvons et nous devons continuer.
La crise a secoué les gens. Aujourd’hui les gouvernements ont la volonté d’appuyer la production du riz et ils ont élaboré une stratégie régionale de développement de la riziculture. Il me semble que dans ce contexte, nous avons une marge de manœuvre pour pousser nos revendications en faveur d’un TEC élevé sur le riz importé. Auparavant, nous faisions pression sur le TEC dans tous les domaines ; désormais nous nous concentrons sur le riz, qui constitue un enjeu majeur pour les autorités et pour tous les acteurs. Le climat est donc favorable pour nos revendications. Il ne nous reste qu’à nous mobiliser nous-mêmes.

IR : Quels sont les grands chantiers en cours au niveau du cadre de concertation des riziculteurs ?
FB :
Nous avons priorisé plusieurs axes.
Le premier axe concerne le renforcement des capacités. Il nous faut une forte structuration : sans une bonne articulation entre les structures, c’est difficile. Les OP sont des entités vivantes, elles ont autant besoin de bonnes articulations qu’une personne qui monte des escaliers. Sans quoi, il y a un risque très important de gaspillage des fonds. Nous allons choisir au moins trois pays dans lesquels renforcer la structuration et favoriser la mise en place d’activités économiques inscrites dans la chaîne de valeur.
Le deuxième axe est orienté vers les activités économiques de production, de transformation et de commercialisation. Les choses évoluent doucement. Aujourd’hui, quand on parle d’interprofessions, on parle de familles. Il y a la famille des producteurs, celle des transformateurs, etc. Mais il y a un certain flou : certaines coopératives de production disposent par exemple d’unités de transformation, dans quelle famille faut-il les placer ? Ces coopératives doivent-elles mettre en place une autre branche économique parallèle dédiée à la transformation ? Ces questions sont en réflexion.
Pour ma part je pense qu’il faut laisser les gens suivre leur propre dynamique, et conforter cette dynamique, plutôt que de toujours vouloir apporter des choses dans lesquelles nous ne nous reconnaissons pas.

IR : Vous êtes engagé en tant que leader paysan à différents niveaux, du local au régional en passant par le national. Est-ce que selon vous ces différents niveaux de structuration du mouvement paysan sont suffisamment bien articulés ? Y a encore un travail à faire dans ce sens ?
FB :
Comme je le disais, le ROPPA traverse une période de flottement. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement du ROPPA, mais de tout le mouvement paysan en général. C’est tout à fait normal dans la vie d’une organisation ; il y a des périodes de changement. Au départ nous étions dans une optique de syndicalisme pur et dur ; le mouvement paysan était constitué d’organisations généralistes ; et il s’agissait alors de faire entendre la voix du producteur, de faire comprendre aux autres que malgré leurs diplômes, personne ne connaît mieux nos problèmes que nous-mêmes ; il fallait éviter que des acteurs extérieurs diagnostiquent nos problèmes et avancent des solutions à notre place.
Aujourd’hui, nous avons dépassé cela : les OP sont écoutées, même si on ne prend pas toujours en compte leurs propositions…. Je pense qu’il nous faut désormais nous orienter davantage vers des activités économiques. Il s’agit là de notre période de transition. Il nous faut franchir le pas, et faire en sorte que la base puisse amorcer le mouvement. Cette dynamique est déjà enclenchée, mais il faut l’accompagner, car des perturbations et des interférences viennent souvent la perturber. Par exemple, la coopération américaine (l’USAID) encourage aujourd’hui la mise en place d’interprofessions céréalières. Or, pour moi, les acteurs doivent éprouver par eux-mêmes le besoin de se regrouper par filière, de manière progressive. Nous sommes en train de nous structurer par nous-mêmes, de créer nos propres dynamiques, et voilà que des partenaires viennent vers nous avec beaucoup d’argent, en nous disant de mettre en place des interprofessions céréalières ! Ceci provoque des tiraillements entre les leaders. Aujourd’hui certaines organisations reçoivent beaucoup de financements mais ceux-ci finiront par s’arrêter …
Il y a aussi des financements pour accompagner des soi disant coopératives semencières. Mais ce qu’ils entendent par coopérative semencière, c’est en réalité une entreprise semencière, dirigée par des gens qui ne sont ni des producteurs, ni des paysans, qui viennent s’installer et nous dire de produire de la semence. On finance de telles entreprises à grands frais. Et les dynamiques d’organisations de producteurs semenciers qui étaient déjà en place risquent de s’écrouler. Je suis moi-même membre d’une coopérative semencière, où je suis producteur mais où je n’occupe aucune responsabilité. Cette année, un de ces entrepreneurs semenciers est venu nous acheter de la semence à 250 FCFA, pour la revendre ensuite à 450 FCFA à des ONG. Qu’est-ce que cela ? N’est-on pas en train de nous distraire ? Il est urgent que nos gouvernements se prémunissent contre ce genre de coopération, qui vient avec beaucoup d’argent pour mener des activités à la place des producteurs. Ce mélange des rôles est porteur de grandes difficultés.

IR : Qu’entendez-vous par renforcer les activités économiques au sein du ROPPA ?
FB :
Dans une dynamique de structuration, la structure juridique la plus adaptée est la coopérative. Il faut donc appuyer nos coopératives de production, voir comment renforcer leurs gains, comment leur fournir des infrastructures de stockage, comment assainir le crédit. A l’époque, quand je suis devenu secrétaire général à l’AOPP, nous comptions une dizaine de coopératives ; aujourd’hui il y en a plus de deux cents. Les choses évoluent, dans tous les pays de la sous-région. Il faudrait donc adapter les interventions en fonction des besoins et que le financement soit proche des besoins.

IR : Ces derniers temps, on parle beaucoup d’approches filières, des chaînes de valeur, etc. Vous reconnaissez-vous dans ces approches ?
FB :
Nous sommes en train de monter un programme avec certains partenaires (Oxfam, SNV, SOS Faim, AFDI, Veco, Trias etc.), dans lequel nous leur avons demandé de remplacer l’expression « chaîne de valeur ». Cette expression nous distrait. Elle désigne des choses que nous vivons tous les jours, notre réalité, mais avec une appellation savante qui crée de la confusion. Les gens cherchent à comprendre ce qui se cache derrière cette expression, alors que ce n’est rien d’autre que ce qu’ils ont sous les yeux ! C’est la raison pour laquelle la base ne suit pas toujours les responsables et les élus des OP. Ces élus participent à des ateliers dans lesquels ils parlent de chaîne de valeur toute la journée, mais lorsqu’ils reviennent vers la base, les gens cherchent à comprendre, et on débat sans fin sur la définition des chaînes de valeur… Ce n’est pas la recherche de définitions qui doit occuper tout notre temps, nous avons trop de choses à faire pour cela ! Voilà encore une illustration du problème que j’évoquais : il faut laisser les choses évoluer normalement, conforter leur évolution et les améliorer au fur et à mesure. Quand on veut balayer ce qui existe, cela crée des problèmes.

IR : Quelles sont les conséquences de la crise au Mali pour les OP ?
FB :
Les choses ont changé pour les OP. De nombreux financements en cours ont été arrêtés. Ma femme me disait que nous sommes tous responsables de la situation. Quelque part, elle a raison, parce que c’est nous qui avons voté pour ces gens là, mais d’autre part je dirais que c’est la mauvaise gestion opérée par le pouvoir qui nous a mené là aujourd’hui. Nous n’avons aucune responsabilité dans cette gestion et pourtant c’est nous qui prenons de plein fouet les conséquences de cette crise. Le Premier Ministre a annoncé récemment à la télévision que le budget de tous les ministères du Mali avait été réduit de 85 %. Pourtant, malgré la crise, nous continuons à fonctionner. Je rêve sans doute, mais ne pourrait-on pas prendre exemple sur nous, à un plus haut niveau, pour tenter de fonctionner avec un budget moindre et en étant moins dépendant des financements extérieurs ?
Néanmoins, nous, OP, avons subi de nombreuses perturbations, notamment dans l’approvisionnement en intrants et en crédits, parce que les banques situées dans les bassins de production ont fermé.

Propos recueillis à Banjul en février 2013, en marge de l’atelier d’information sur les programmes et initiatives ECOWAP/PDDAA visant l’accélération de la mise en œuvre des actions au niveau régional (Banjul, 22-23 Février 2013)

Lire l’article en PDF :
http://www.inter-reseaux.org/IMG/pdf/Interview_Faliry_Boly_Banjul_fev2013.pdf

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